Accès aux codes source: quels droits pour les utilisateurs?

Conformément à l’article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle (C.P.I.), l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété exclusif et opposable à tous, comprenant des droits moraux et patrimoniaux. En vertu de ce texte, l’auteur d’un logiciel peut choisir le type d’exploitation qu’il voudra voir appliquer à son œuvre (exploitation directe par lui-même, ou concession de tout ou partie des droits à des clients de manière exclusive ou non-exclusive). Selon l’article L. 122-6 du C.P.I., le droit d’exploitation de l’auteur d’un logiciel comprend le droit d’utiliser le logiciel, de le reproduire, de le traduire, de l’adapter, et de le modifier.

L’auteur du logiciel confère à l’utilisateur tout ou partie des droits d’exploitation par un contrat de licence. Conformément à l’article L. 131-3 du C.P.I., ce contrat doit fixer les conditions et l’étendue des droits concédés à l’utilisateur quel que soit le type de logiciel (logiciel développé spécifiquement pour l’utilisateur ou progiciel).

Les actes non autorisés par cette licence ne peuvent être accomplis sans l’accord explicite de l’auteur. Par conséquent, toute modification du logiciel, en particulier de son code source, est en principe soumise à autorisation. Or, il arrive que l’utilisateur soit contraint de modifier, d’adapter, voire plus fréquemment de corriger certaines erreurs en accédant aux codes source alors qu’il n’y est pas expressément autorisé.

L’article L. 122-6-1 du C.P.I. permet à l’utilisateur d’un logiciel d’effectuer deux types d’intervention sans l’autorisation de l’auteur : d’une part, il peut accomplir les actes permettant une utilisation conforme à la destination du logiciel en particulier ceux nécessaires à la correction des erreurs (I) et, d’autre part, il peut « décompiler » le logiciel à des fins d’interopérabilité avec d’autres logiciels (II).

I. L’UTILISATEUR PEUT ACCOMPLIR DES ACTES PERMETTANT UNE UTILISATION DU LOGICIEL « CONFORME A SA DESTINATION »

L’article L. 122-6-1 alinéa 1 du C.P.I dispose que « les actes prévus aux 1° et 2° de l’article L. 122-6 [la reproduction, la traduction, l’adaptation l’arrangement d’un logiciel] ne sont pas soumis à l’autorisation de l’auteur lorsqu’ils sont nécessaires pour permettre l’utilisation du logiciel, conformément à sa destination, par la personne ayant le droit de l’utiliser, y compris pour corriger des erreurs ».

Faute de définition légale ou jurisprudentielle, la notion de « destination » reste assez imprécise. Sans doute faut-il, pour délimiter cette notion, examiner le contrat de licence (1). En pratique, l’utilisation du logiciel conformément à sa destination recouvre essentiellement deux actes : la correction des erreurs (2), l’évolution et l’adaptation du logiciel (3).

1. La définition de la « destination » du logiciel

La doctrine considère que le logiciel est conforme à sa destination lorsqu’il est capable de traiter les informations en vertu des fonctionnalités voulues par l’auteur et programmées comme telles. En pratique, il sera important de savoir quels documents déterminent la destination du logiciel.

Dans un progiciel (ou logiciel standard), la destination est essentiellement déterminée par le contrat de licence et la documentation associée au progiciel. L’utilisateur est en droit de bénéficier des fonctionnalités décrites dans ces documents.

Dans un logiciel développé spécifiquement pour l’utilisateur, la destination pourra être déduite tant du matériel de conception préparatoire (analyse fonctionnelle, organigrammes, prototypes, etc.) que du cahier des charges et de la proposition commerciale du prestataire informatique. Ces documents permettent de définir les besoins de l’utilisateur et la destination que ce dernier attend du logiciel. Par conséquent, il est essentiel de définir s’ils ont ou non une valeur contractuelle. Dans la négative, le juge pourrait considérer que la fonctionnalité voulue par l’utilisateur n’avait pas été prévue initialement.

Ainsi, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a considéré dans une décision du 10 octobre 1989 qu’une solution informatique était incomplète lorsqu’elle était « inapte à remplir les tâches décrites dans le bon de commande ». Dans ce même arrêt, la Cour a décidé que le « projet d’implantation » du logiciel n’ayant aucune valeur contractuelle, il ne pouvait être pris « comme référence » pour justifier que la solution était incomplète.

2. La correction des erreurs

La loi ne précise pas ce qu’il faut entendre par « correction des erreurs ». La doctrine considère qu’il s’agit de la correction des bogues informatiques, c’est à dire des erreurs de calcul arithmétique, voire des algorithmes qui ne correspondent pas à l’état de l’art.

En principe, l’utilisateur peut exercer son droit de correction en effectuant lui-même la maintenance corrective ou en ayant recours à une société tierce spécialisée. Toutefois, l’article L. 122-6-1 alinéa 2 du C.P.I. dispose que : « L’auteur est habilité à se réserver par contrat le droit de corriger les erreurs et de déterminer les modalités particulières auxquelles seront soumis les actes prévus aux 1° et 2° de l’article L.122-6 [la reproduction, la traduction, l’adaptation l’arrangement d’un logiciel] (…) ».

Ainsi, l’auteur peut limiter les droits de l’utilisateur par une disposition contractuelle expresse et prévoir d’assurer lui-même la maintenance corrective du logiciel qu’il a fourni. Il peut encore fixer les modalités particulières que devra suivre l’utilisateur s’il accomplit lui-même cette maintenance.

3. Les évolutions et l’adaptation du logiciel

Le droit d’adaptation donne à l’utilisateur la faculté de faire évoluer le logiciel pour le rendre conforme à sa destination sous réserve que l’auteur n’ait pas encadré l’exercice de ce droit dans la licence.

En pratique, cette faculté réservée par la loi permet notamment à l’utilisateur de mettre le logiciel en adéquation avec de nouvelles réglementations administratives ou fiscales.

Toutefois, le droit d’adaptation n’autorise pas l’utilisateur ou un tiers à ajouter au logiciel de nouvelles fonctionnalités (Cour d’appel de Versailles, 13ème chambre, 6 octobre 1994). En outre, l’adjonction de nouvelles fonctionnalités au logiciel préexistant, sans l’autorisation de la part de l’auteur, peut exposer l’utilisateur ou le tiers à une action en contrefaçon.

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L’utilisateur qui souhaite accomplir un des actes mentionnés à l’article L. 122-6-1 du CPI doit en pratique obtenir la remise matérielle des codes source de la part de l’auteur. C’est pourquoi, il appartient aux parties d’organiser dans le contrat les modalités de l’accès à ces codes.
Ainsi, il sera opportun de prévoir dans la licence qu’un tiers, tel qu’un notaire ou l’Agence pour la Protection des Programmes, conserve un exemplaire des codes source.

Si rien n’est prévu dans le contrat, la jurisprudence distingue généralement entre le contrat de licence de progiciel et le contrat de commande d’un logiciel spécifique.

Dans le cas d’un logiciel spécifique, il a pu être jugé que la communication des codes source au client-utilisateur constituait un usage. Plus nettement encore, la Cour d’Appel de Paris (9 janvier 1985) a confirmé la condamnation de l’auteur d’un logiciel spécifique à fournir les codes source au client, sous astreinte de 5 000 F par jour.  Les enseignements de cette affaire sont d’autant plus importants que la Cour a clairement distingué le progiciel (pour lequel la Cour a considéré que les codes source ne devaient pas être communiqués) du logiciel spécifique (dans lequel les codes source sont la « propriété » du client et doivent lui être accessibles).

II. L’UTILISATEUR PEUT DECOMPILER LE LOGICIEL A DES FINS D’INTEROPERABILITE AVEC D’AUTRES LOGICIELS

La décompilation est l’opération qui consiste à traduire la version objet du logiciel (langage utilisé par la machine pour exécuter le programme) dans le langage dans lequel le logiciel a été programmé (codes source).

En principe, la décompilation est soumise à l’autorisation de l’auteur du logiciel conformément aux dispositions de l’article L. 122-6 du C.P.I. Elle peut cependant être réalisée contre la volonté de l’auteur dans le seul but de permettre l’interopérabilité des logiciels (article L. 122-6-1 al. IV).

En effet, la décompilation à des fins d’interopérabilité est un droit d’ordre public et l’auteur ne peut interdire l’exercice de ce droit dans le contrat de licence (article L. 122-6-1 al. V).

L’interopérabilité des logiciels se définit comme « la capacité des programmes d’ordinateur d’échanger des informations et d’utiliser mutuellement ces informations » (Directive du 14 mai 1991, relative à la protection juridique des programmes d’ordinateur).

Ainsi, pour que plusieurs logiciels soient interopérables entre eux, il faut que leur interfaces soient elles-mêmes compatibles.

Afin d’accomplir cet objectif, il est important en pratique que l’utilisateur dispose des codes source relatifs aux parties du programme assurant l’interconnexion et l’interaction des éléments logiciels et matériels.

Le droit de décompiler demeure enfermé dans des conditions très strictes en raison des risques qu’il présente pour l’auteur (1). Même si ce droit est d’ordre public, l’auteur peut toujours aménager et organiser l’exercice de ce droit dans le contrat de licence (2).

1. Conditions de la décompilation à des fins d’interopérabilité

Selon l’article L. 122-6-1 alinéa IV du C.P.I., l’utilisateur d’un logiciel peut, sans l’autorisation de l’auteur, procéder à la reproduction et à la traduction de la forme de son code (c’est à dire décompiler le logiciel) lorsque ces opérations sont indispensables pour obtenir les informations nécessaires à l’interopérabilité de ce logiciel avec d’autres logiciels.

Tout d’abord, la décompilation n’est pas autorisée lorsque ces informations, nécessaires à l’interopérabilité, sont facilement et rapidement accessibles pour l’utilisateur. Ainsi, la décompilation ne sera pas permise dans l’hypothèse où l’auteur a déjà rendu accessibles à l’utilisateur ces informations.

Ensuite, la décompilation en vue d’assurer l’interopérabilité du logiciel, ne peut être accomplie que par la personne ayant obtenu un droit d’utilisation au terme du contrat de licence ou par toute personne autorisée par elle. La personne ayant eu une autorisation de l’utilisateur peut être par exemple un tiers disposant de compétences techniques directement missionné par le licencié pour accomplir les actes d’interopérabilité.

La décompilation doit également être strictement limitée aux parties du logiciel nécessaires à son interopérabilité. Les professionnels de l’informatique considèrent que cette condition est assez illusoire puisqu’il faut souvent décompiler l’ensemble du logiciel pour pouvoir connaître son fonctionnement exact et permettre d’assurer son interopérabilité de façon efficace.

Enfin, la loi interdit l’utilisation des informations obtenues lors de la décompilation par l’utilisateur ou par le prestataire habilité, à d’autres fins que la réalisation de l’interopérabilité du logiciel créé de façon indépendante. Sont donc interdites toute communication à des tiers et toute action en vue de mettre au point ou commercialiser une œuvre dérivée.

2. Organisation contractuelle de la décompilation à des fins d’interopérabilité

Il peut être opportun de prévoir la remise des informations nécessaires à l’interopérabilité dans le contrat de licence pour le cas où l’utilisateur en fait la demande.

Une clause peut par exemple organiser une procédure d’accès aux codes source strictement nécessaires à l’interopérabilité, afin d’éviter que l’utilisateur ne décompile le logiciel et accède ainsi à l’ensemble des codes source.

De même, il sera utile pour exercer le droit de décompilation que le code source ait été déposé chez un tiers tel qu’un notaire ou l’Agence pour la Protection des Programmes. Cette précaution permet notamment d’éviter de sérieux problèmes en cas de défaillance de l’auteur, notamment en cas de liquidation judiciaire.

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Si l’article L.122-6-1 du Code de propriété intellectuelle donne sous certaines conditions un droit d’accès aux codes source à l’utilisateur, force est de constater que cet article n’est pas toujours d’une grande clarté. Pour réduire les risques de contentieux, la solution la plus sûre consiste donc à encadrer précisément le droit d’accès de l’utilisateur dans le contrat de licence du logiciel.

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