Bilan législatif et jurisprudentiel 2005

1. DROIT D’AUTEUR

Peer-to-peer – L’examen en première lecture par l’Assemblée Nationale du projet (n°1206) de loi relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information a débuté fin décembre 2005 mais les débats ont été suspendus et devraient reprendre en mars 2006. Un double amendement parlementaire très controversé a d’ores et déjà été adopté. Il légaliserait le téléchargement sur internet en prévoyant que la reproduction d’œuvres ainsi réalisée ne pourrait être interdite par les ayants droit lorsqu’elle serait faite pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, et à condition que les utilisateurs versent en contrepartie une rémunération compensatoire aux ayants droit. Le gouvernement demandera certainement une nouvelle délibération sur cet amendement dit de « licence globale », comme le lui permet le règlement de l’Assemblée Nationale. Le Ministre de la Culture et de la Communication a également annoncé que plusieurs amendements viendraient enrichir et clarifier le projet de loi afin de garantir « l’équilibre attendu entre liberté et régulation ».

L’année 2005 aura été marquée par plusieurs condamnations d’internautes utilisateurs des réseaux peer-to-peer. A cette occasion, certains tribunaux ont estimé que télécharger et/ou mettre à disposition des œuvres protégées sur ces réseaux est illicite.

Ainsi, le Tribunal correctionnel de Pontoise a jugé que le téléchargement de près de 10 000 oeuvres musicales et la mise à disposition de celles-ci à d’autres internautes constituent le délit de contrefaçon. Dans cette affaire, les juges ont condamné le prévenu à verser aux ayants droit la somme de 10 200 euros à titre de dommages et intérêts, outre 3 000 euros d’amende avec sursis (TGI Pontoise, 2 févr. 2005, SACEM et a. c/ Alexis B.).

De même, le Tribunal correctionnel de Meaux a estimé que le partage sur les réseaux peer-to-peer constitue une contrefaçon par télédiffusion d’œuvres sans autorisation, et ce même s’il y avait usage d’un serveur FTP par un groupe restreint d’utilisateurs, cette mise à disposition dépassant le cadre de l’usage privé. (TGI Meaux, 21 avr. 2005, SPPF et a. c/ Stéphane et a.).

L’argument invoqué par les personnes poursuivies et tiré de l’exception de copie privée (art. L. 122-5 2° du Code de la propriété intellectuelle) a été rejeté par ces juridictions. Cependant, un arrêt de la Cour d’appel de Montpellier, frappé de pourvoi en cassation, a admis que les copies sur CD d’œuvres téléchargées ou issues d’autres CD peuvent bénéficier de l’exception de copie privée si elles sont réservées à un usage strictement privé, exclusif de toute utilisation collective, ce qui exclut le partage sur les réseaux peer-to-peer (CA Montpellier, 10 mars 2005, Twentieth Century Fox et a. c/ Aurélien D., confirmation du jugement du TGI de Rodez du 13 oct. 2004).

De même, le Tribunal correctionnel de Bayonne a estimé que le fait de stocker sur son disque dur ou graver sur CD des œuvres téléchargées n’est pas illicite et relève de l’exception de copie privée (TGI Bayonne, 15 nov. 2005 Ministère Public et SCPP c/ Monsieur D.T.).

Mesures techniques de protection – Si depuis plusieurs années, la légitimité des mesures techniques de protection des œuvres avait été reconnue notamment par la directive européenne « droit d’auteur » de 2001 et les traités OMPI de 1996, l’année 2005 aura été celle de leur remise en cause par la jurisprudence.

Si la Cour d’appel de Versailles a jugé que rien n’interdit de commercialiser un CD intégrant une mesure de protection dont le fonctionnement serait normal à condition que l’acheteur en soit prévenu (CA Versailles, 15 avr. 2005 Françoise M., UFC Que Choisir / EMI Music France), la Cour d’appel de Paris, quant à elle, dans une décision frappée d’un pourvoi en Cassation, a infirmé le jugement du TGI de Paris du 30 avril 2004 qui avait estimé qu’un dispositif de protection empêchant la copie d’un CD ne violait pas l’exception de copie privée. Dans cette affaire, un consommateur, ayant acheté un DVD se plaignait de ne pas avoir été informé qu’une mesure technique empêchait toute copie. Après avoir rappelé que l’exception de copie privée est une exception légale au droit d’auteur, et non pas un droit qui serait reconnu de manière absolue à l’usager, la Cour précise cependant que cette exception ne peut être limitée qu’aux conditions prévues par la loi. Elle en déduit que la copie ne peut être limitée aux supports analogiques alors que la loi ne fait pas cette distinction. Enfin et surtout, la Cour désavoue les premiers juges en estimant que l’exception de copie privée serait conforme au « test des trois étapes » et ne peut être limitée en pratique par une mesure technique de protection. (CA Paris 22 avr. 2005, Stéphane P. et UFC Que Choisir c/ Universal Pictures Video France, SA Films Alain Sarde et a.).

2. DONNEES PERSONNELLES

Correspondant Informatique et Libertés – Le décret n° 2005-1309 du 20 octobre 2005 pris en application de la loi « Informatique et Libertés » du 6 janvier 1978, telle que modifiée par la loi du 6 août 2004, est venu préciser – outre les modalités d’exercice des pouvoirs de contrôle et de vérification de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) – le rôle, le statut, les modalités de désignation et les pouvoirs du correspondant à la protection des données à caractère personnel, dont la désignation au sein d’une entreprise permet d’être dispensé de formalités déclaratives (sauf en cas de transfert des données vers un pays n’appartenant pas à l’Union européenne).

Dispositifs d’alerte professionnelle – Suite aux scandales financiers d’Enron et de Worldcom, le Congrès américain a adopté le 30 juillet 2002 la loi Sarbanes-Oxley. Celle-ci impose aux sociétés cotées aux Etats-Unis de mettre en œuvre des dispositifs d’« alerte éthique » (whistleblowing) qui permettent de lutter contre les fraudes, notamment comptables, par voie de dénonciation par les salariés des comportements fautifs imputables à leurs collègues de travail. Le respect de cette loi par les sociétés américaines sur un plan mondial présente certaines difficultés.

Par deux délibérations en date du 26 mai 2005, la CNIL a refusé la demande de deux sociétés d’autoriser leurs projets de « lignes éthiques », estimant que de tels dispositifs sont, par principe, contraires à la loi « Informatique et Libertés » , car ils risquent de conduire à un système organisé de délation professionnelle et favoriser les dénonciations calomnieuses.

Alors que, par une ordonnance de référé du 1er février 2005, le Tribunal de Grance Instance (TGI) de Nanterre a déclaré que le droit d’alerte « whistelblower » mis en place dans l’établissement bancaire en cause ne portait pas de restriction injustifiée ou disproportionnée aux droits et libertés des salariés, le tribunal de grande instance de Libourne a ordonné en référé, le 15 septembre 2005, le retrait de notes dites « Ethics Hotline » affichées dans une société, visant à instituer un système de dénonciation.

Par un document d’orientation du 10 novembre 2005, la CNIL a finalement assoupli sa position. Elle y définit les conditions de conformité des dispositifs d’alerte professionnelle à la loi « Informatique et Libertés » : (i) restreindre le champ de l’alerte, (ii) dissuader les dénonciations anonymes, (iii) mettre en place une organisation spécifique pour traiter les alertes, (iv) informer la personne concernée dès que les preuves ont été préservées.

En outre, le 8 décembre 2005, la CNIL a adopté une décision d’autorisation unique n°AU-004 par la délibération n°2005-305. Ainsi, les entreprises ayant mis en place un tel dispositif auront simplement à lui adresser un engagement de conformité à sa décision.

L’Union européenne a également prévu d’établir un texte dans le courant du premier trimestre 2006, sur la base du document d’orientation de la CNIL.

Données de connexion – La Cour d’appel de Paris a décidé dans un arrêt du 4 février 2005 que les entreprises sont soumises aux mêmes règles que les fournisseurs d’accès concernant la conservation des données de connexion de leurs salariés et leur transmission sur demande des autorités judiciaires.

La loi n°2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers (JO du 24 janvier 2006) a fait l’objet d’un recours devant le Conseil constitutionnel qui a censuré partiellement deux dispositions pour inconstitutionnalité (n°2005-532 DC du 19 janvier 2006).

La loi, qui développe la vidéosurveillance et les contrôles administratifs, tend notamment à :

(I) ouvrir l’accès aux seules données techniques (excluant donc le contenu des correspondances et des informations consultées) aux autorités de police et de gendarmerie dûment habilitées, sans autorisation judiciaire préalable, afin de prévenir les actes de terrorisme (nouvel article L.34-1-1 du Code des postes et des communications électroniques (CPCE) et insertion du II bis à l’article 6 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN)) ;

(II) élargir la définition des personnes soumises au respect des dispositions de l’article L.31-1 du CPCE (en matière de conservation des données techniques) ; confirmant ainsi qu’outre les opérateurs et fournisseurs de services de communications électroniques, sont également concernés les fournisseurs d’accès et d’hébergement, les cybercafés et les entreprises (toutes personnes qui au titre d’une activité professionnelle principale ou accessoire offrent au public une connexion à internet à titre gratuit ou onéreux).

Archivage des données personnelles – La CNIL a adopté une recommandation concernant les modalités d’archivage électronique, dans le secteur privé, de données à caractère personnel soulignant les impératifs à respecter en matière de durée de conservation, de sécurité des données et d’accès (Délibération n°2005-213 du 11 oct. 2005).

3. ECRIT ET ARCHIVAGE ELECTRONIQUE

Actes authentiques électroniques – Deux décrets n°2005-972 et n°2005-973 du 10 août 2005, l’un relatif au statut des huissiers de Justice, l’autre relatif aux actes établis par les notaires, permettent désormais l’établissement et la conservation des actes authentiques sur support électronique, notamment au moyen de la signature et de l’archivage électroniques. Ces règlements ont été pris en application, d’une part, des articles 1316 et suivants du Code civil issus de la loi du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l’information et relative à la signature électronique et, d’autre part, des articles 1108-1 et 1108-2 du Code civil issus de la LCEN.

Contrats électroniques – L’ordonnance n°2005-674 du 16 juin 2005 relative à l’accomplissement de certaines formalités contractuelles par voie électronique a été prise par le gouvernement en application de l’habilitation donnée par l’article 26 de la LCEN. Elle adapte les règles du Code civil aux contrats électroniques et pose de nouvelles dispositions relatives (i) à l’échange d’informations en cas de contrat électronique, (ii) à l’envoi ou la remise d’un écrit par voie électronique, (iii) à certaines exigences de forme, et à (iv) la pluralité des originaux.

Archivage des contrats électroniques – Le premier décret d’application de la LCEN pris le 16 février 2005 fixe à 120 euros le montant à partir duquel l’archivage des contrats électroniques est obligatoire.

4. PUBLICITE SUR INTERNET

Liens commerciaux sur les moteurs de recherche – Les sociétés Google et Overture ont développé un service qui permet aux sites Internet d’être référencés sur la page de résultat de moteurs de recherche, précédés de la mention «liens commerciaux/ promotionnels/ sponsorisés». Elles ont cependant fait l’objet de condamnations parce que des mots clés « achetés » en vue du référencement étaient protégés par le droit des marques. Ainsi, Overture et Google ont été respectivement condamnées à payer 200 000 euros de dommages et intérêts aux titulaires des marques contrefaites (TGI de Nanterre 17 janvier 2005 et TGI de Paris 4 février 2005).

Déontologie – Dans le souci d’instaurer un climat de confiance sur le web, le BVP (Bureau de Vérification de la Publicité) a adopté, le 13 mai 2005, une recommandation intitulée « Internet support publicitaire ». Le BPV souligne que la publicité sur Internet doit respecter les règles déontologiques qui s’appuient sur les principes de la Chambre de Commerce Internationale (tel le Code international de pratiques loyales en matière de publicité,  ainsi que les lignes directrices en matière de publicité et de marketing sur Internet). Il rappelle également les règles posées par la LCEN relatives à l’identification de l’annonceur et de la publicité.

5. JEUX EN LIGNE

Par une ordonnance de référé du 2 novembre 2005, le TGI de Paris a, sur le fondement de l’article 6.I-8 de la LCEN, ordonné aux hébergeurs d’un site maltais de paris hippiques en lignewww.zeturf.com de rendre l’accès au site impossible tant qu’y sera maintenue l’activité illicite qui violait le monopole du Pari Mutuel Urbain (PMU). Ils ont été condamnés in solidum au paiement d’une indemnité provisionnelle de 30 000 euros au PMU. Dans le cadre du débat opposant plus largement les monopoles d’Etat aux opérateurs européens de jeux en ligne, deux plaintes ont été déposées auprès de la Commission européenne par des bookmakers maltais dont la société Zeturf pour violation par l’Etat français du principe européen de libre prestation de services.

6. NOMS DE DOMAINE EN « .EU »

Depuis le 7 décembre 2005, il est désormais possible d’enregistrer un nom de domaine en « .eu » auprès de l’un des 779 bureaux accrédités dans toute l’Union européenne ….

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