Jusqu’où un syndicat peut diffuser des informations via un site Web ?

Quelle est l’étendue de la liberté d’expression d’un syndicat à partir de son site Internet ? Cette question a reçu trois réponses différentes. Les enseignements d’un jugement. 

La Cour de Cassation – Chambre Sociale – dans un arrêt récent du 5 mars 2008 a été amenée à cerner les limites de la liberté de communication syndicale à partir d’un site externe à l’entreprise.

Elle pose le principe selon lequel, la liberté de communication syndicale sur Internet peut être limitée afin d’éviter que la divulgation d’informations confidentielles ne porte atteinte aux intérêts légitimes de l’entreprise.

Rappel des faits 

Dans cette affaire, la Fédération CGT des sociétés d’études avait ouvert un site Internet dédié à l’une de ses sections syndicales donnant des informations sur la société TNS SECODIP (notamment, comptes rendus des réunions du Comité d’Entreprise, comptes rendus des négociations salariales contenant les salaires de chaque catégorie du personnel …).

La société TNS SECODIP a saisi le Tribunal de Grande Instance de Bobigny afin d’obtenir la suppression de plusieurs rubriques comportant des informations qu’elle considérait comme confidentielles et dont la diffusion au public lui portait préjudice.

Par jugement du 11 mars 2005, le Tribunal de Grande Instance a fait droit à cette demande en ce qui concerne 4 rubriques au motif que les informations communiquées étaient strictement confidentielles, que les tiers et concurrents ne peuvent être informés de manière complète et précise sur la politique salariale de l’entreprise, et qu’ainsi la Fédération a violé l’obligation de discrétion qui pèse sur tous les salariés qu’elle représente.

Le Tribunal a condamné la Fédération à verser des dommages et intérêts à la société TNS SECODIP en réparation du préjudice résultant de la divulgation à des tiers extérieurs de renseignements internes à l’entreprise.

La cour d’appel infirme le jugement

La Cour d’Appel, dans son arrêt du 15 juin 2006, a infirmé le jugement en considérant que « comme tout citoyen, un syndicat a toute latitude pour créer un site Internet pour l’exercice de son droit d’expression directe et collective, qu’aucune restriction n’est apportée à l’exercice de ce droit, et qu’aucune obligation légale ou de confidentialité ne pèse sur les membres du syndicat, à l’instar de celle pesant en vertu de l’article L 432-7 alinéa 2 du Code du Travail sur les membres du comité d’entreprise ou représentants syndicaux, quand bien même il peut y avoir identité de personnes entre eux ».

La société TNS SECODIP ayant formé un pourvoi contre cette décision, était pour la première fois posée à la Cour de Cassation la question de l’étendue de la liberté d’expression d’un syndicat à partir de son site Internet.

La décision de la cour de cassation

La Chambre Sociale de la Cour de Cassation, dans son arrêt du 5 mars 2008 a censuré la Cour d’Appel au motif « qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher si les informations litigieuses avaient un caractère confidentiel et si ce caractère était de nature à justifier l’interdiction de leur divulgation au regard des intérêts légitimes de l’entreprise, la Cour d’Appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés« .

Aucune disposition légale ne réglementant la liberté de communication syndicale extérieure à l’entreprise, la Chambre Sociale a fondé sa décision, en y faisant expressément référence, sur un texte général, l’article 10-2 du la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales et sur un texte spécifique à Internet, l’article 1er de la loi du 21 janvier 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.

Selon le premier texte, la liberté d’expression peut être soumise à certaines conditions et restrictions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires à la protection ou la réputation des droits d’autrui.

Dans le cas soumis à la Cour, les restrictions légales résultent de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (second texte) selon laquelle l’exercice de la liberté de communication par voie électronique peut être limitée dans la mesure requise, notamment dans le cadre du respect de la liberté et de la propriété d’autrui.
Ainsi, selon la Cour, il en résulte que « si un syndicat a le droit de communiquer librement des informations au public sur un site Internet, cette liberté peut être limitée dans la mesure de ce qui est nécessaire pour éviter que la divulgation d’informations confidentielles porte atteinte aux droits des tiers« .

C’est également en fonction du principe du respect des droits d’autrui que la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation, dans un arrêt du 10 mai 2005, avait sanctionné des propos injurieux s’agissant de la mise en ligne du syndicat Sud PTT Moselle d’un message mettant en cause le directeur régional de la Poste, en considérant que :

« S’il est certain que le langage syndical justifie la tolérance de certains excès, à la mesure des tentions nées de conflits sociaux ou de la violence qui parfois sous-tend les relations du travail, il n’en reste pas moins qu’excèdent la mesure admissible dans un tel cadre et présentent un caractère injurieux des propos tels que « pôvre vieux », « givré », « plus barge que ça tu meurs », « dingue doublé d’un sadique que la Poste persiste à maintenir aux commandes de la Moselle », ou « c’est tout de même extraordinaire de voir qu’un DLP peut-être sénile bloque l’économie de toute une partie du département de la Moselle et jouisse du plaisir de savoir que les facteurs perdent du pognon« .

Dans cet arrêt, comme dans celui du 5 mars 2008, la Cour de Cassation exerce un contrôle de proportionnalité afin qu’un « juste équilibre » soit constitué entre la liberté de communication électronique du syndicat et le respect des droits d’autrui (entreprise ou personne physique).

Liberté oui, mais pas absolue

La liberté d’expression n’est donc pas absolue, mais limitée et contrôlée, même si elle s’exprime sur un site Internet propre aux syndicats et non directement au sein de l’entreprise.

A cet égard, plusieurs syndicats ont créé des sites Internet ou des blogs du fait qu’ils ne sont pas libres de diffuser des informations via l’intranet de l’entreprise.

En effet, en premier lieu, selon la loi du 4 mai 2004 (article L 412-8 du Code du Travail), « seul un accord d’entreprise peut autoriser la mise à disposition des publications et tracts de nature syndicale, soit sur un site spécifique mis en place sur l’intranet de l’entreprise, soit par diffusion sur la messagerie de l’entreprise« .

En second lieu, selon ce même texte, l’accord d’entreprise « doit définir les modalités de cette mise à disposition ou de ce mode de diffusion, en précisant notamment, les conditions d’accès des organisations syndicales et les règles techniques visant à préserver la liberté de choix des salariés d’accepter ou de refuser un message« .

Dans un arrêt du 25 janvier 2005, la Cour de Cassation s’est prononcée pour l’application de l’article L 412-8 du Code du Travail à la diffusion de courriels syndicaux via Internet.

Dans cette affaire, à partir d’un ordinateur lui appartenant, la Fédération des services CFDT avait envoyé sur l’adresse électronique professionnelle de tous les salariés, un courriel syndical alors qu’aucun accord d’entreprise n’avait été signé, ni aucune autorisation formulée par l’employeur, Clear Channel, qui avait saisi le Tribunal de Grande Instance de Bobigny, en référé, pour faire cesser « le trouble manifestement illicite ».

Le Tribunal, puis la Cour d’Appel de Paris, ont pris position en faveur de l’interdiction de diffusion.

La Cour de Cassation a rejeté le pourvoi de la Fédération, considérant que le même régime d’autorisation doit s’appliquer pour Intranet et Internet dès l’instant où les publications syndicales sont réceptionnées sur la messagerie de l’entreprise.

Dans un arrêt récent du 22 janvier 2008, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation a strictement limité le contenu des communications aux conditions prévues par l’accord d’entreprise autorisant les organisations syndicales à utiliser le réseau intranet de l’entreprise.

Dans cette affaire, un délégué syndical avait diffusé sur le réseau un courriel de protestation contre l’arrestation d’un militant paysan, et un avertissement lui avait été notifié pour ce fait par son employeur. Il en avait demandé judiciairement l’annulation.

La Cour d’Appel a rejeté la demande de l’intéressé et la Cour de Cassation a approuvé cette décision en relevant que l’accord d’entreprise relatif à l’exercice du droit syndical dans l’entreprise subordonnait la faculté d’utilisation de la messagerie électronique pour la publication d’informations syndicales à l’existence d’un lien entre le contenu et la situation sociale existant dans l’entreprise, et que tel n’était pas le cas en l’espèce.

L’arrêt du 5 mars 2008 marque donc une avancée supplémentaire en se prononçant, pour la première fois, sur l’étendue de la liberté d’expression syndicale et apporte une pierre nouvelle à l’édifice qui s’est construit sur l’utilisation des NTIC par les organisations syndicales.

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