Quelle sanction pour les abus commis par les salariés dans l’utilisation du SI de l’entreprise ?

Les abus commis par les salariés dans l’utilisation des systèmes informatiques et électroniques mis à leur disposition par l’employeur justifient, sous certaines conditions, un licenciement pour faute grave.

Au fil du temps, la Cour de Cassation a été amenée à se prononcer sur la nature des faits fautifs commis par les salariés justifiant un licenciement pour faute grave (« celle qui, par son importance, rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant la durée même limitée du préavis »).

A cette occasion, et depuis l’arrêt Nikon France (Cour de Cassation- Chambre Sociale – 2 octobre 2001), une jurisprudence maintenant relativement bien établie s’est construite autour de la preuve que l’employeur doit apporter des faits fautifs à l’appui de sa décision de licenciement et a défini ainsi les conditions dans lesquelles il peut avoir accès aux documents/fichiers et courriels des salariés, qu’ils soient professionnels ou personnels.

Dans une affaire où un attaché technico-commercial avait empêché l’accès à ses dossiers commerciaux en les cryptant sur son ordinateur faisant ainsi obstacle à toute consultation de son employeur et avait été licencié de ce fait pour faute grave, c’est en vain qu’il a contesté la légitimité de la rupture.

La Cour de Cassation (Chambre Sociale – 18 octobre 2006) a confirmé le licenciement pour faute grave en faisant valoir que « les dossiers et fichiers créés par un salarié grâce à l’outil informatique mis à sa disposition par son employeur pour l’exécution de son travail sont présumés, sauf si le salarié les identifie comme étant personnels, avoir un caractère professionnel de sorte que l’employeur peut y avoir accès hors sa présence ».

Dans une autre affaire où un salarié avait été licencié pour faute grave au motif qu’à la suite de la découverte de photos érotiques dans un tiroir de son bureau, il avait été procédé à une recherche sur le disque dur de son ordinateur qui avait permis de trouver un ensemble de dossiers totalement étrangers à ses fonctions figurant notamment sous un fichier intitulé « perso », la Cour de Cassation (Chambre Sociale – 17 mai 2005) a censuré la Cour d’Appel qui avait estimé que le licenciement pour faute grave était justifié, au motif que « l’ouverture des fichiers personnels effectuée hors la présence de l’intéressé, n’était justifiée par aucun risque ou évènement particulier ».

De ce fait, et au nom du principe de « transparence » et du droit au respect de l’intimité de la vie privée du salarié même au temps et au lieu de travail (principe édicté par l’arrêt Nikon France), la Cour de Cassation a considéré que la preuve des faits fautifs évoqués par l’employeur n’était pas rapportée.

S’agissant de l’envoi par les salariés de messages électroniques ou de la constitution de fichiers non professionnels, les Juges sanctionnent au premier chef l’abus quantitatif.

En effet, s’il est toléré qu’un salarié puisse pendant son temps de travail utiliser à des fins personnelles le matériel de l’entreprise, encore faut-il que cette utilisation soit modérée.

Une illustration en est donnée dans une affaire où l’entreprise avait découvert lors d’opérations ordinaires de contrôle de gestion, sur le poste informatique mis à la disposition du salarié, analyste programmeur, un nombre important de fichiers à caractère pornographique représentant 509 292 989 octets et avait licencié de ce fait l’intéressé pour faute grave.

Après avoir constaté que les fichiers dont le contenu était reproché au salarié n’avaient pas été identifiés par lui comme personnels, ce dont il résultait que l’employeur pouvait en prendre connaissance sans qu’il soit présent ou appelé, la Cour de Cassation dans un arrêt récent (Chambre Sociale – 16 mai 2007) a relevé que « le stockage, la structuration, le nombre conséquent de ces fichiers et le temps dès lors consacré à eux par le salarié attestaient d’une méconnaissance par lui de son obligation d’exécuter les fonctions lui incombant en utilisant le matériel dont il était doté pour l’accomplissement de ses tâches et qu’ainsi ce comportement empêchait son maintien dans l’entreprise pendant la durée du préavis et constituait une faute grave, peu important une absence sur un tel point, de mise en garde, de charte informatique ou de règlement intérieur ».

La Cour de Cassation a donc retenu que la faute résidait dans l’abus caractérisé de l’utilisation par le salarié du matériel informatique de l’entreprise à des fins privées l’empêchant d’exécuter normalement ses fonctions, et peu importe la nature pornographique des fichiers.

Egalement, les Juges ont été amenés à sanctionner l’utilisation par des salariés de la messagerie de l’entreprise pour commettre un acte illicite.

Une illustration en est donnée dans un arrêt de la Cour de Cassation – Chambre Sociale du 2 juin 2004.

Dans cette affaire, un courriel contenant des injures et menaces antisémites avait été adressé par un salarié à une personne domiciliée en Israël, à partir de sa messagerie de bureau ; celle-ci comportait, avant le sigle @ le nom du salarié, et après le sigle, le nom de la société ; le destinataire du courriel s’en était plaint auprès du dirigeant de l’entreprise et l’auteur identifié de ce courriel a été licencié pour faute grave.

La Cour de Cassation a considéré que « le fait pour un salarié d’utiliser la messagerie électronique que l’employeur met à sa disposition pour émettre, dans des conditions permettant d’identifier l’employeur, un courriel contenant des propos antisémites est nécessairement constitutif d’une faute grave rendant impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant la durée du préavis ».

Elle a donc approuvé le licenciement pour faute grave de l’auteur des propos antisémites, en retenant, au vu de la formule utilisée, une conception « in abstracto », considérant que cette faute est nécessairement grave ; en effet, en sa qualité de commettant, le chef d’entreprise peut voir sa responsabilité civile mise en cause du fait des agissements illicites de son salarié.

Enfin, essayer de se connecter sur le poste du dirigeant constitue une faute grave.

Dans cette affaire, la Cour de Cassation (Chambre Sociale – 21 décembre 2006) a estimé que « la Cour d’Appel qui a retenu que le salarié avait tenté, sans motif légitime et par emprunt du mot de passe d’un autre salarié, de se connecter sur le poste informatique du directeur de la société a pu en déduire que ce comportement, contraire à l’obligation de respect de la charte informatique en vigueur dans l’entreprise, rendait impossible son maintien dans l’entreprise pendant la durée du préavis et constituait une faute grave ».

Bien entendu, toutes les situations d’abus des salariés dans l’utilisation des systèmes informatiques ne sont pas susceptibles de caractériser et de justifier un licenciement, que ce soit ou non pour faute grave.

L’employeur devra donc apprécier devant la situation qui lui est présentée les éléments de fait et de preuve avec circonspection avant toute décision susceptible d’affecter la continuité du contrat de travail du salarié concerné.

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