Transposition – La monnaie électronique à la recherche de son statut

La deuxième directive « monnaie électronique » risque de ne pas être transposée avant longtemps en droit français : pour autant, les acteurs économiques et juridiques de cette activité doivent anticiper et prendre en compte les apports de ce texte, propre à favoriser le développement de nouveaux services de monnaie électronique.

Le rideau est (re)tombéLa deuxième directive dite improprement[1] « monnaie électronique », ou « DME 2 »[2], ne sera pas transposée avant (encore) longtemps en droit français, dès lors que l’article d’habilitation de sa transposition par voie d’ordonnance[3] a été censuré, d’office faut-il remarquer, par le Conseil constitutionnel[4] ; et que l’Assemblée nationale  a suspendu ses travaux parlementaires jusqu’au 26 juin prochain, afin que passent les deux tours des élections présidentielle puis législatives.

La question n’est dès lors plus tellement de savoir pourquoi la France ne « parvient » pas à transposer la DME 2 ­ ou quand, et comment, elle y parviendrait ­, mais davantage, pour les acteurs économiques, et juridiques, de ce « marché », de ce qu’ils peuvent ou doivent faire en attendant.  « So what ? »… diraient nos (pragmatiques) amis anglais qui, eux, sans attendre, « passeportent » l’exercice de leur activité de monnaie électronique sur le territoire français, si l’on en juge par la dernière mise à jour, par l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP ), au 31 mars 2012, de la « liste des [EME] habilités à exercer en France » : sur les 14 établissements de l’Espace économique européen (« EEE ») intervenant en France en libre prestation de service et exerçant l’activité d’émission et de gestion de monnaie électronique, 13 sont anglais (contre 1 maltais), auxquels il faut ajouter un autre, pareillement anglais, intervenant aussi en « libre établissement  distributeur » (par distinction des « succursales »).

  « Nos amis anglais qui, eux, sans attendre, « passeportent » l’exercice de leur activité de monnaie électronique sur le territoire français »

 L’interprétation conforme du droit européen

On sait bien que, à la différence des règlements européens, les directives ne se voient pas reconnaître une applicabilité directe dans les États membres.  Il n’en demeure pas moins que « le refus de reconnaître un effet direct aux directives dans les rapports entre les particuliers est compensé par la théorie de l’interprétation conforme créée par la Cour de justice, de laquelle il résulte que, dans la mesure du possible, le droit national doit être interprété selon la finalité de la directive, même non transposée ou incorrectement transposée »[5].

Il n’est pas question de discuter, ici, des arcanes de cette « théorie de l’interprétation conforme », qui connue un certain succès, en particulier, à travers la jurisprudence de la Cour de cassation relative aux produits défectueux, dont le droit attendit longtemps la transposition de la directive y relative[6].

Il s’agit bien davantage de suggérer aux acteurs du marché de la monnaie électronique d’oser s’engager, plutôt que dans des solutions de « contournement » trop souvent décrites[7] (voire dans des choix d’ « expatriation » contestés[8]), dans la voie d’actions de « conciliation » et d’« anticipation » d’un droit (la DME 2, faut-il noter , est d’harmonisation maximale,[9], mais réserve toutefois un certain nombre d’options)  qui n’a que trop tardé à venir.

L’ « indigence » de la DME 1 et de son texte français de transposition

  « Le droit en vigueur de la monnaie électronique, et de ses soi-disant EME, est « indigent » : la DME 1 « dit » très peu et, de surcroît, le « dit » mal ! »

On ne dit pas assez, nous semble-t-il, combien le droit en vigueur de la monnaie électronique, et de ses soi-disant EME (qui, à proprement parler, n’existent pas, sinon comme sous-ensemble des établissements de crédit), est « indigent » : la DME 1 « dit » très peu et, de surcroît, le « dit » mal ! De fait, texte de « réaction » (elle «  a été adoptée en réaction à l’émergence de nouveaux produits de paiement électronique prépayés » confie le premier considérant de la DME 2), la DME 1 a très vite nécessité son réexamen, « certaines de ses dispositions ayant été jugées préjudiciables à l’émergence d’un véritable marché unique des services de monnaie électronique et au développement de services conviviaux de ce type » (DME 2, cons. 2).

Quant à la réglementation (« droit » serait excessif) française de la monnaie électronique et des EME, elle est significativement hors Code monétaire et financier (« CMF »)[10], car tout entière, ou presque, dans un « simple » règlement ( n° 2002-13 du 21 novembre 2002 relatif à la monnaie électronique et aux établissements de monnaie électronique)  du « défunt » Comité de la Réglementation Bancaire et Financière (CRBF), lui-même homologué par arrêté du 10 janvier 2003[11].

 Les principales avancées de la DME 2 …

Il est donc plus que temps de se « projeter » vers l’avenir du droit de la monnaie électronique et des EME, en relevant les quelques « intentions » majeures suivantes, telles que contenues essentiellement dans les considérants de la DME 2 et « traduites » (plus ou moins fidèlement) dans le dernier état du texte de transposition nationale dont nous avons connaissance, rédigé par le Trésor sous la forme de « tableaux de transposition » de la directive dans les parties législative et règlementaire du CMF[12]… transposition dans ledit CMF qui, en soi, est déjà une avancée remarquable.

L’apport majeur de la DME 2, croyons-nous, dépasse le strict domaine de la monnaie électronique pour embrasser l’ensemble du droit des services de paiement, en rendant la « DSP » (directive 2007/64/CE du 13 novembre 2007 concernant les services de paiement dans le marché intérieur) applicable en tant que de besoin. En effet, le considérant 4 de la DME 2 suggère qu’un « réexamen des règles régissant les [EME] s’impose, de manière à garantir les conditions de concurrence équitables à tous les prestataires de services de paiement »[13] ; et le considérant 9 ajoute qu’il convient également de réexaminer le régime de surveillance prudentielle des EME afin de « le rendre cohérent avec le régime de surveillance prudentielle applicable aux établissements de paiement régis par la directive 2007/64/CE », de sorte que « les dispositions pertinentes de la directive 2007/64/CE devraient s’appliquer mutatis mutandis aux [EME], sans préjudice des dispositions de la présente directive »[14].  Étant ajouté ­ et c’est particulièrement notable ­, au considérant 10, que « bien que les [EME] ne soient pas habilités à émettre de la monnaie électronique par l’intermédiaire d’agents, ils devraient néanmoins être autorisés à fournir les services de paiement énumérés à l’annexe de la directive 2007/64/CE par l’intermédiaire d’agents si les conditions énoncées à l’article 17 de ladite directive sont remplies »[15].

… et de sa transposition (retardée) en droit français[16].

Ne retrouve-t-on pas cette intention à l’article L. 133-1-IV nouveau du CMF : « Sans préjudice de l’application des dispositions de la section 12 [Les modalités de remboursement de la monnaie électronique], les dispositions du présent chapitre [Chapitre III ­ Les règles applicables aux autres instruments de paiement] s’appliquent à l’émission et la gestion de monnaie électronique » ? ou dans l’insertion, au titre Ier « Les opérations de banque, les services de paiement et l’émission et la gestion de la monnaie électronique » du livre III « Les services » du CMF, d’un chapitre V nouveau consacré à « l’émission et la gestion de monnaie électronique »? ou encore à  l’article L. 521-1 modifié : « Les prestataires de services de paiement sont les établissements de paiement, les [EME] et les établissements de crédit » ? enfin et surtout, aux articles L. 526-2 et suivants nouveaux relatifs d’une part, à la fourniture par les EME des « services de paiement définis au II de l’article L. 314-1 » (et des services connexes) et, d’autre part, à l’exercice d’ « activités de nature hybride » ?

L’existence juridique des EME

 « Les EME existeraient enfin !  L’avancée est de taille, empreinte de considérations concurrentielles, et s’articule en deux temps de « dissociation » entre EME et établissements de crédit »

 De lege ferenda, les EME existeraient enfin !  L’avancée est de taille, empreinte de considérations concurrentielles, et s’articule en deux temps de « dissociation » entre EME et établissements de crédit :

– d’une part, afin de « préserver des conditions de concurrence équitables entres les [EME] et les établissements de crédit en ce qui concerne l’émission de monnaie électronique », il serait souhaitable de « compens[er] les caractéristiques moins contraignantes du régime de surveillance prudentielle applicable aux [EME] par des dispositions plus strictes que celles qui s’appliquent aux établissements de crédit, notamment en ce qui concerne la protection des fonds des détenteurs de monnaie électronique » (DME 2, cons. 14) ;

– d’autre part, il convient de « modifier la définition de l’établissement de crédit figurant dans la directive 2006/48/CE[17] de manière à ce que les [EME] ne soient pas considérés comme des établissements de crédit », tout en préservant le droit pour ces derniers d’émettre de la monnaie électronique à l’échelle de la Communauté et, dans un souci de concurrence équitable, leur permettre, « à titre alternatif, [d’] être en mesure d’exercer cette activité par l’intermédiaire d’une filiale sous le régime de surveillance prudentielle prévu par la présente directive et non par la directive 2006/48/CE » (DME 2, cons. 25).

On retrouverait, peu ou prou, cette articulation mise en œuvre par les articles L. 525-1: « Les émetteurs de monnaie électronique sont les [EME] et les établissements de crédit », et l’article L. 526-1 nouveaux du CMF : « Les [EME] sont des personnes morales, autres que les établissements de crédit et autres que les personnes mentionnées à l’article L. 525-2[18], qui émettent à titre de profession habituelle de la monnaie électronique telle que définie à l’article L. 315-1[19] ». L’émission de monnaie électronique serait, enfin, soustraite du monopole bancaire !

Le droit à venir de l’émission, la gestion et la distribution de monnaie électronique

Il faudrait encore parler du droit de la distribution de monnaie électronique à venir[20], des conditions ­ qui seraient enfin fixées ! ­ d’accès à la profession, en termes d’agrément[21]comme de libre établissement et de libre prestation de services des États parties à l’accordEEE[22], des riches dispositions prudentielles  propres aux EME[23]… et même de ce « petit 1° ter » ajouté, à l’initiative de la Fédération Bancaire Française (FBF), à l’article L. 561-2 nouveau du CMF, qui assujettit à une partie des obligations relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux, le financement des activités terroristes (« LCB-FT ») et les loteries, jeux et paris prohibés, « les [EME] régis par les dispositions du chapitre VI du titre II du présent livre »[24]. Cela serait fort instructif, mais dépasserait le cadre de cette rapide contribution.

Un mot cependant encore, pour terminer sur ce par quoi nous avons débuté : il n’est peut-être pas exclu que le législateur français fasse finalement l’impasse sur la transposition de la DME 2, et passe directement, à l’horizon 2013, à celle d’une « DSP 2 » annoncée par le livre vert « Vers un marché européen intégré des paiements par carte, par internet et par téléphone mobile »…


[1] Tant la DME 1 que la DME 2 s’intéressent prioritairement au « statut » des émetteurs et/ou établissements de monnaie électronique (« EME ») plutôt qu’à la « qualification » de cette dernière. Il serait dès lors plus propre de parler de DEME 2 (ou de DEME 1).

[2] Directive 2009/110/CE du 16 septembre 2009, modifiant les directives 2005/60/CE et 2006/48/CE et abrogeant la directive 2000/46/CE. Cette dernière, du 18 septembre 2000, est dite « DME 1 ». À noter, toutefois, qu’une autre directive du même jour, mais 2000/28/CE, concerne l’accès à l’activité des établissements de crédit et son exercice, et étend la définition de ceux-ci auxEME.

[3] Article 59, II de la loi relative à la simplification du droit et à l’allègement des démarches administratives, laquelle loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 a par ailleurs été publiée au JO du 23 mars 2012.

[4] Décision n° 2012-649 DC du 15 mars 2012.

[5] Rapp. C. cass. 2006, La Cour de cassation et la construction juridique européenne, sous la direction scientifique de Denys Simon, 1.2.1.4, p. 137.

[6] Voir Rapp. précité, ibid. Adde, P. Storrer, Bon an mal an, la loi relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, Bull. Lamy droit économique,  juill. 1998, n° 108.

[7] Par ex., B. May et M. Vincent-Moreau, Transposition de la Directive 2009/10, Une Deuxième chance pour la monnaie électronique ?, Banque & Droit n° 135, janv.-févr. 2011, spéc. p. 17, et L. de Pellegars, La monnaie électronique et les EME nouvelle génération, Banque et Stratégie, 17 mai 2001, et Monnaie électronique, La France en retard, Revue Banque, suppl. Cartes, nov. 2011, spéc. p. 38.

[8] On se souvient des mots virulents qu’eut Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France, en juillet 2011, à propos de la localisation au Luxembourg de l’offre de paiement par Internet d’une grande banque française : « Si les gens sont assez bêtes pour aller choisir des moyens de paiement proposés avec des niveaux de sécurité moindres (qu’en France), on ne peut rien faire ».

[9] Cf. DME 2, art. 16. Comp. FBF, CLAE, Fiches pratiques Droit européen, Les méthodes d’harmonisation utilisées dans le secteur des services financiers, févr. 2010.

[10] Une recherche « monnaie électronique » sur le CMF en ligne (Légifrance) révèle seulement cinq occurrences, dont deux seules sont significatives, l’article L. 511-7, II, in fine, en matière d’exemption d’agrément, et l’article R. 561-16, 5° concernant les cas de faible risque de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme.

[11] JO 1er févr. 2003, p. 2003

[12] « Circule » par ailleurs un « projet de loi relatif aux conditions régissant l’émission et la gestion de monnaie électronique et portant création des [EME] », toujours en discussion au sein du Comité Consultatif de la Législation et de la Réglementation Financières (CCLRF)…

[13] Notons toutefois que si les EME pourraient, à l’avenir, fournir des services de paiement, de leur côté, les établissements de paiement ne seraient pas autorisés à émettre de la monnaie électronique…

[14] Adde, DME 2, art. 3, 1 : « Sans préjudice de la présente directive, les articles 5 et 10 à 15, l’article 17, paragraphe 7, et les articles 18 à 25 de la directive 2007/64/CE s’appliquent mutatis mutandis aux [EME] ».

[15] Article 17 de la DSP, notablement dense, relatif au « recours à des agents, à des succursales ou à des entités vers lesquelles des activités sont externalisées ».

[16] On ne peut cependant pas parler d’ « avancées » et passer sous silence cette « fossilisation » entreprise par l’article 2 du projet de loi de transposition, qui prévoit en effet d’insérer au 1er alinéa du I de l’article L. 112-6 du  CMF, après les mots « en espèces », les mots « ou au moyen de monnaie électronique », ce qui donnerait tout simplement : « Ne peut être effectué en espèces ou au moyen de de monnaie électronique le paiement d’une dette supérieure à un montant fixé par décret (…) » !

[17] Directive du 14 juin 2006 concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et son exercice (refonte).

[18] Banque de France et Institut d’émission des départements d’outre-mer, Trésor public, Caisse des dépôts et consignations.

[19] « La monnaie électronique est composée d’unités de valeur, dites unités de monnaie électronique, chacune constituant un titre de créance sur l’émetteur, stockées sous une forme électronique, y compris magnétique, et acceptée comme moyen de paiement, au sens de l’article L. 311-3 du code monétaire et financier, par des tiers autres que l’établissement émetteur ».

[20] CMF, art. L. 525-7 et s. nouveaux

[21] CMF, art. L. 526-7 et s. nouveaux

[22] CMF, art. L. 526-21 et s. nouveaux

[23] CMF, art. L. 526-27 et s. nouveaux

[24] À noter que le dernier état du projet de loi de transposition imposerait, dans ce cadre LCB-FT, aux établissements de paiement et aux EME ayant recours à des agents et/ou distributeurs pour exercer en France la désignation d’ « un représentant permanent, résidant sur le territoire national ».

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