Affaire IBM / MAIF : pas de faute du fournisseur selon la Cour d’appel

Dans une affaire opposant IBM à la MAIF, la Cour d’appel de Poitiers, par un arrêt du 25 novembre 2011 (1), a entièrement réformé le jugement du Tribunal de grande instance de Niort (2) qui avait fait grand bruit fin 2009 en prononçant l’annulation d’un contrat d’intégration pour vice du consentement et en condamnant le prestataire à indemniser le préjudice subi par son client pour un montant d’environ 9 millions d’euros.

Le contexte

Souhaitant refondre son système informatique et après une procédure d’appel d’offres, la MAIF avait conclu avec IBM un contrat pour l’intégration d’un logiciel de gestion de la relation sociétaires lui confiant la maîtrise d’œuvre de son projet. IBM s’engageait contractuellement, sur la base d’une obligation de résultat, à la fourniture d’une solution intégrée conforme au périmètre fonctionnel et technique convenu entre les parties dans un délai déterminé et pour un montant forfaitaire ferme et définitif de plus de 7 millions d’euros.

Le projet a subi de nombreux retards et près d’un an après la signature du contrat, IBM reconnaissait que le projet n’était pas techniquement réalisable dans les conditions initialement envisagées. Après quelques tentatives de refonte du projet, IBM demandait une augmentation substantielle du budget initial pour achever la solution, portant le forfait total à 18 millions d’euros. Refusant de procéder au règlement de factures, la MAIF était assignée en paiement par IBM et formait une demande reconventionnelle arguant de la nullité du contrat et invoquant un préjudice de près de 20 millions d’euros.

Une première décision du Tribunal de grande instance de Niort en défaveur du prestataire

Le Tribunal avait considéré qu’IBM, en présentant à son client un projet d’intégration avec un planning et un prix forfaitaire arrêté avant même le stade de la conception détaillée, avait pris un risque fort pour emporter le marché, alors même qu’il devait alerter son client sur ce risque. Le Tribunal avait assimilé cette attitude à des manœuvres dolosives ayant vicié le consentement du client et avait prononcé en conséquence l’annulation du contrat. Dès lors, IBM était condamnée à restituer à la MAIF les sommes perçues (représentant une somme de 1,6 million d’euros) et à indemniser son préjudice, évalué par le Tribunal à plus de 9 millions d’euros.

Le revirement complet de la Cour d’appel

Saisie de l’affaire par IBM, la Cour d’appel de Poitiers a suivi une toute autre direction dans son arrêt du  25 novembre 2011, en reconnaissant la validité du contrat.

Les juges d’appel ont exclu toute réticence dolosive d’IBM, retenant d’une part que la MAIF disposait d’importantes équipes informatiques et ne pouvait ignorer les risques et les difficultés relatives à un tel projet. Les juges ont ajouté d’autre part que la MAIF ne peut prétendre avoir été trompée sur le « risque du forfait » alors que c’est elle qui a imposé ce mode de fixation du prix.

Au vu de ces éléments, la Cour a considéré qu’il n’était pas établi qu’IBM ait « dissimulé, de surcroit volontairement à la Maif des informations majeures relatives au calendrier, au périmètre, au budget du projet ».

La Cour tire également  une conséquence radicale de la signature par la MAIF, en cours de projet, de deux avenants. Elle y voit la preuve que la MAIF avait connaissance des surcoûts et retard au moment de la signature de ces protocoles additionnels, lesquels, en quelque sorte, purgent tout vice du consentement lors de la signature du contrat.

Par ailleurs, les juges d’appel n’ont relevé aucune faute grave d’IBM quant à ses obligations de conseil et de résultat. La Cour conclut, sur la base des conclusions du rapport d’expertise, que l’échec du projet ne saurait être imputé à IBM qui n’a pas manqué à son obligation de conseil.

En définitive, la MAIF est condamnée à régler les factures dues, s’élevant à près de 5 millions d’euros outre les intérêts, sans pour autant qu’il soit fait droit à la demande indemnitaire d’IBM.

Les enseignements de cette décision

L’intérêt de cette affaire à rebondissements ne réside pas tant dans le point de savoir qui d’entre le client ou le prestataire a bien ou mal agi dans la réalisation de ce projet informatique, mais dans les enseignements que l’on peut en tirer en matière de fixation du prix pour de tels projets d’intégration.

Il faut conclure de la décision de la Cour d’appel que le forfait est une protection trompeuse pour le client. La Cour d’appel emploie, à cet égard, une expression étonnante en relevant que le client connaissait le « risque du forfait ». Dans les projets d’intégration d’envergure, lorsqu’un seul contrat englobe tant la phase de conception que celle de réalisation, les risques de dérives du calendrier et du budget sont quasiment inévitables. La Cour d’appel refuse de faire porter la charge de ces risques uniquement sur le prestataire.

Une solution contractuelle à envisager est de contractualiser séparément la phase de conception et la phase de réalisation. Un contrat d’étude permettra au prestataire de réaliser la conception détaillée de la future solution. Cette phase, fortement dépendante de la collaboration du client, pourra s’envisager sur un mode de rémunération non forfaitaire, tenant compte, par exemple, du nombre d’ateliers de conception à réaliser. Une fois la conception réalisée et validée par le client, il sera plus facile pour le prestataire de s’engager sur des délais et des prix fermes de réalisation de la solution.

Un litige de cette ampleur est nécessairement un échec, tant pour le client que pour le prestataire. Il n’est pas sans conséquence financière pour les parties. La MAIF a ainsi été condamnée à payer près de 500 000 euros à IBM au titre de ses frais de procédures. Cette affaire doit donc alerter toute SSII dans la gestion de la phase de l’appel d’offres, lorsqu’elle est mise en concurrence. Il importe de ne pas sacrifier une certaine prudence en minimisant les difficultés et les coûts d’un projet pour emporter l’adhésion d’un client.

Mais ce litige doit également alerter les clients qui ne peuvent raisonnablement exiger du prestataire, dans toutes les circonstances, un prix forfaitaire. Ces derniers doivent être conscients du fait qu’en raison de la difficulté que chacun rencontrera dans la définition de ses besoins et en raison de la part d’inconnu inhérente à ce type de projet, il est probable que des évolutions soient nécessaires et amènent une redéfinition par les parties du périmètre et du budget du projet.

Il est important d’anticiper contractuellement cette situation en prévoyant, dans le contrat, les mécanismes de gestion du périmètre de la solution, du planning, et finalement du prix.

Reste à voir si cette désormais célèbre affaire IBM / MAIF sera portée devant la Cour de cassation.

(1)   Poitiers, 1ère civ., 25 novembre 2011, IBM France et BNP Paribas Factor c/ MAIF

(2)   TGI Niort, 14 décembre 2009, MAIF c/ IBM France, BNP Paribas Factor

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