Exploitation des données publiques : une législation qui achève sa construction

L’administration, dans sa plus large acception, produit de la donnée. Souvent inhérentes à son fonctionnement, comme c’est le cas pour toute entreprise privée, les données produites pas les administrations ont parfois une valeur qui intéresse le secteur privé. Se pose alors la question de l’accès aux données détenues par le secteur public. Problème récurrent depuis que l’informatique est utilisée par les administrations, il peine à trouver son point d’équilibre. Dans une approche « patrimonialiste » des données produites avec l’argent public, les administrations sont parfois tentées de limiter l’accès aux données qu’elles détiennent. L’exploitation des données publiques peut également être vue par les personnes publiques comme une nouvelle source de financement en ces temps de disette budgétaire.

Historiquement, l’accès à l’information détenue ou produite par l’administration relève de deux régimes juridiques différents : celui des archives publiques, dont la première législation remonte à 1794, et celui de l’accès aux documents administratifs, droit nouveau pour les citoyens instauré par la loi du 17 juillet 1978.

Les deux régimes juridiques, qui peuvent porter sur des documents identiques (tous les documents administratifs étant des archives publiques), relèvent cependant de deux inspirations différentes. La loi sur les archives participe de la possibilité pour le citoyen de prendre connaissance de l’activité passée de l’administration ; la loi sur l’accès aux documents administratifs s’inscrit elle dans une logique de contrôle démocratique : il est une liberté publique que de prendre connaissance de la « pensée écrite » de l’administration.

Sur ces deux logiques, qui vivaient en parallèle, une troisième problématique est venue s’inscrire : celle de l’exploitation commerciale des données publiques. L’organisation délicate de ces trois régimes juridiques ne s’est achevée que récemment, par une ordonnance du 30 avril 2009.

Les polémiques survenues récemment sur la réutilisation des fonds numérisés des archives départementales témoignent d’une résistante sur ces questions.[1]

Au commencement était l’archive

La loi du 3 janvier 1979 sur les archives, qui fut pendant longtemps notre texte de référence en la matière, prévoyait dans son article 1er que « les archives sont l’ensemble des documents, quels que soient leur date, leur forme et leur support matériel, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et par tout service ou organisme public ou privé dans l’exercice de leur activité. »

La notion de « support matériel » permettait déjà de rendre compte des archives sous forme numérique en ce que les données informatiques sont nécessairement stockées sur un support matériel, fut-ce un disque dur. La définition fut maintenue à l’identique lors de la création du Code du patrimoine, par l’ordonnance n°2004-178 du 20 février 2004. A la faveur de la loi de réforme du 15 juillet 2008 relative aux archives, la référence à la matérialité du support fut supprimée dans l’actuel article L211-1 du code du patrimoine.

A côté de cette définition du « document » archive, l’article L211-4 du code du patrimoine pose la définition des archives « publiques ». Il s’agit des documents qui procèdent de l’activité, dans le cadre de leur mission de service public, de l’Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics et des autres personnes morales de droit public ou des personnes de droit privé chargées d’une telle mission.

Ces notions étant précisées, la question se pose de l’accès par les personnes extérieures à l’administration aux dites archives. La loi du 15 juillet 2008 a posé, à l’article L213-1 du code du patrimoine, un principe nouveau de communication « immédiate » des archives publiques. Ce principe est néanmoins assorti de nombreuses exceptions. Ainsi, et à titre d’exemple, l’accès aux registres de naissance et de mariage de l’état civil ne peut s’effectuer avant l’expiration d’un délai de 75 ans à compter de leur clôture.

Le même article renvoie à l’article 4 de la loi du 17 juillet 1978, qui règlement l’accès aux documents administratifs, pour ce qui concerne les modalités de cette communication des archives.

Cet article prévoit trois modalités de communication : par consultation gratuite sur place ; par la délivrance d’une copie sur un support identique ou compatible avec celui utilisé par l’administration ; par courrier électronique.

L’accès aux documents administratifs

A côté d’un droit d’accès « à terme » aux archives publiques, la loi du 17 juillet 1978 pose le principe d’un accès « immédiat » aux documents administratifs.

Assorti d’un certain nombre d’exceptions et de conditions, l’article 2 de la loi du 17 juillet 1978 pose une obligation aux personnes publiques (les mêmes que celles visées à l’article L211-4 du code du patrimoine) de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande.

Les modalités de communication sont celles que l’on vient d’indiquer. L’article 4 de la loi de 1978 prend soin de préciser les conditions financières de cette communication. La délivrance d’une copie s’opère aux frais du demandeur mais sans que ces frais puissent excéder le coût de la reproduction. Lorsque le document est disponible sous forme électronique, sa communication par courrier électronique est sans frais.

L’exploitation commerciale des données publiques

La finalité principale de ces textes est celle d’un accès « individuel » à l’information détenue par l’administration. Qu’en est-il d’un accès à la donnée motivée par un besoin commercial ?

Cette question ancienne ne fait l’objet d’une réglementation que depuis l’ordonnance n°2005-650 du 6 juin 2005 relative à la liberté d’accès aux documents administratifs et à la réutilisation des informations publiques. Cette ordonnance est venue transposer la directive du 17 novembre 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public. L’ordonnance a introduit un chapitre nouveau dans la loi du 17 juillet 1978 sur l’accès aux documents administratifs.

Le principe introduit dans le texte est maintenant celui de la liberté de réutilisation des informations, à des fins commerciales ou non. Dans chaque administration, une personne responsable de la réutilisation doit être désignée. La réutilisation est placée sous le contrôle de la Commission d’Accès aux Documents Administratifs (CADA) et les refus de licence de réutilisation doivent être motivés et écrits.

La perception d’une redevance par l’administration est autorisée, redevance dont le montant peut inclure les coûts supportés par l’administration productrice ou détentrice des informations, et notamment les coûts de mise à disposition et d’éventuelle anonymisation des informations. La redevance perçue à l’occasion d’une réutilisation ne doit pas excéder la totalité des coûts supportés par l’administration, majorés d’un retour sur investissement raisonnable. Ce plafond s’applique également au montant que représente la totalité des redevances perçues pour la réutilisation d’une même information.

L’exploitation des données culturelles

Le régime de la réutilisation des données publiques contient un certain nombre d’exceptions notamment celle concernant « les informations des établissements, organismes et services culturels » dont la réutilisation est laissée « à la libre appréciation des établissements en cause » (art. 11 de la loi du 17 juillet 1978).

Qu’est-ce qu’un établissement culturel au sens du texte précité ? La CADA a donné un éclairage sur cette question son avis du 31 juillet 2008 portant les services départementaux d’archives.

La commission observe que les services départementaux d’archives sont notamment créés en vue de la « mise en valeur du patrimoine archivistique » qu’ils détiennent. La commission en déduit que les services départementaux d’archives sont au nombre des services culturels visés par l’article 11 de la loi du 17 juillet 1978. Il en résulte qu’il appartient à ces services de définir leurs propres règles de réutilisation, conformément à l’article 11.

Précisément, la définition de ces règles de réutilisation, fussent-elles définies par le service lui-même, n’échappe pas aux principes posés par l’ordonnance du 6 juin 2005. Dans trois avis du 25 mars 2010, pris à la demande de la société Notrefamille.com, la CADA le rappelle en ces termes : « Les établissements culturels ne disposent pas d’un pouvoir discrétionnaire leur permettant d’apprécier l’opportunité de faire droit ou non à une demande de réutilisation ».En l’espèce, la commission relève que les cahiers de recensement d’un département sont disponibles sous format numérique et qu’ils sont donc d’ores et déjà communicables en application de l’article 4 de la loi du 17 juillet 1978, et par conséquent réutilisables.

A retenir

La libre réutilisation des données publiques, à des fins commerciales ou non, est aujourd’hui consacrée depuis l’ordonnance du 6 juin 2005. La CADA est chargée de veiller à l’application des règles relatives à la réutilisation des données publiques.

Droit applicable

L211-1 et suivants du Code du patrimoine.

Loi n°78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal modifiée par l’Ordonnance n°2005-650 du 6 juin 2005 relatif à la liberté d’accès aux documents administratifs et à la réutilisation des informations publiques et l’Ordonnance n°2009-483 du 29 avril 2009 prise en application de l’article 35 de la loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008 relative aux archives.

Décret n°2005-1755 du 30 décembre 2005 relatif à la liberté d’accès aux documents administratifs et à la réutilisation des informations publiques, pris pour l’application de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978.

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