Internet bouscule l’interdiction des sondages

La loi fixe une période, avant et après un scrutin, durant laquelle la publication des enquêtes d’opinion est interdite. La multiplication des sites nuit à son application.

A compter de ce soir minuit, la publication, la diffusion et les commentaires des sondages d’opinion seront interdits jusqu’à la clôture du scrutin, dimanche 22 avril 2007, à 20 heures. Les mêmes règles devront être respectées au second tour de l’élection présidentielle, du vendredi 4 mai 2007 à minuit au 6 mai 2007 à 20 heures. Cette période d’interdiction, fixée par la loi, prend effet la veille de chaque tour de scrutin et se poursuit le jour de celui-ci. Elle vise « tout sondage d’opinion ayant un rapport direct ou indirect avec un référendum, une élection présidentielle ou l’une des élections réglementées par le Code électoral ainsi qu’une élection des représentants au Parlement européen » (L. 19 juillet 1977 modifiée par la loi du 19 février 2002). Toute infraction expose à une peine d’amende de 75.000 euros (C. électoral, art. L. 90-1).

Jurisprudence fluctuante
La légalité de ce dispositif a été souvent contestée, occasionnant une jurisprudence fluctuante. Selon certains juges, il s’agit d’« une mesure nécessaire en démocratie pour préserver le libre arbitre du citoyen » (CA Paris, 6 avril 1994) ou encore d’une loi qui protège « la liberté des élections et la sincérité du scrutin » (Cass. crim., 14 mai 1996). D’autres juges, observant que « les sondages, publiés à l’étranger en toute légalité, sont connus, grâce aux moyens actuels de communication et notamment grâce à Internet, par des milliers d’électeurs français », ont admis que la loi de 1977 a pour effet de créer une discrimination entre les citoyens dans la mesure où seuls ceux qui possèdent un accès Internet ou encore ceux qui ont accès à la presse étrangère disponible en France peuvent prendre connaissance du sondage interdit en France (TGI Paris, 15 déc. 1998). Cette situation, dénoncée par les partisans d’une réforme de la loi, n’a pas convaincu le Conseil d’Etat, pour lequel la restriction des sondages « repose sur le souci du législateur d’éviter que les choix des citoyens ne soient influencés dans les jours qui précèdent immédiatement un scrutin par une appréciation erronée » (CE, 28 mai 1999). La Cour de cassation a cependant admis, le 4 septembre 2001, que la loi du 19 juillet 1977 était contraire à l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. C’est dans ce contexte que le législateur est intervenu peu de temps après pour maintenir le principe de l’interdiction mais en ramenant le délai d’interdiction initial (L. 1977) d’une semaine à quarante-huit heures (L. 2002).

Pour l’heure, la polémique s’amplifie avec la multiplication des sites Internet des partis, des candidats et des services de communication par voie électronique. La prudence recommande, comme le suggère le Forum des droits sur l’Internet (1), de désactiver les liens automatiques pointant sur les pages Web susceptibles de diffuser, depuis le territoire national ou à l’étranger, des sondages pendant la période d’interdiction. En ce sens, un jugement du tribunal de grande instance de Paris du 6 avril 2001 a retenu que la mise en place en France d’un hyperlien (entre un site français et un site américain) constitue bien l’infraction reprochée. La même juridiction s’était pourtant prononcée en sens contraire le 15 décembre 1998, dans une affaire mettant en cause la responsabilité du directeur de publication d’un quotidien français pour publication et diffusion des résultats des sondages des élections législatives de 1997, pendant la période interdite. La diffusion avait été faite sur le site du journal, par lien hypertexte, permettant à l’utilisateur de se connecter sur le site d’un autre journal localisé à l’étranger. Selon les juges, « les sondages litigieux n’ont pas directement figuré sur le site [du quotidien] ouvert en France, puisque ce média s’est contenté de donner aux internautes les moyens de prendre connaissance du contenu des sondages sur un site à l’étranger ». Aussi, « ce n’est pas la prise de connaissance des sondages qui est interdite par la loi, mais la seule publication ou diffusion. […] Il ne saurait y avoir complicité d’un acte non incriminé par la loi pénale ».

Poursuivre des sites étrangers ?
En marge de ces controverses jurisprudentielles, de nouvelles questions se profilent. Quid par exemple de la poursuite de l’éditeur d’un site étranger qui diffuserait, pendant la période interdite, les résultats de sondages sur l’élection présidentielle française ? Après tout, c’est bien à raison des contenus illicites qu’ils diffusaient que des sites étrangers ont déjà, à plusieurs reprises, été poursuivis en France !

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