L’action de groupe : nouvelles responsabilités pour les entreprises

La loi relative à la consommation dite loi « Hamon », adoptée par le Parlement le 13 février 2014 et validée par le Conseil constitutionnel le 13 mars dernier, comporte une innovation majeure en créant « l’action de groupe », mécanisme de saisine d’une juridiction au nom d’un ensemble de personnes, inspirée des fameuses « class action » américaine.

Le débat sur l’action de groupe existe en France, comme en Europe, depuis une trentaine d’années. Au sein de l’Union européenne, plusieurs pays se sont dotés de mécanismes de recours collectifs permettant aux consommateurs d’agir contre un même professionnel. L’introduction en droit français de l’action de groupe a longtemps suscité d’importantes réserves, notamment en raison des dérives que ce type d’action collective fait craindre : recours abusifs, demandes fantaisistes, honoraires de résultats qui rémunèrent l’avocat uniquement sur les indemnisations obtenues par les demandeurs, etc.

Les institutions européennes ont cependant toujours milité en faveur de l’introduction du recours collectif au sein des législations des Etats membres. Ainsi, dans une recommandation en date du 11 juin 2013, qui n’a certes aucune force obligatoire, la Commission européenne insiste sur la nécessité de faciliter la réparation des « préjudices de masse », en se dotant de mécanismes de recours collectifs nationaux respectant les principes qu’elle édicte en la matière.

Un dispositif plus limité que la « class action » américaine

Avant l’adoption du projet de loi sur la consommation, les consommateurs lésés ne pouvaient obtenir réparation de leur préjudice autrement que par une action en justice individuelle. Le Code de la consommation prévoit déjà des dispositions permettant à des associations de consommateurs d’agir en réparation dans l’intérêt des consommateurs, mais il ne s’agit pas de véritables « class actions ».

Ainsi, l’ « action dans l’intérêt collectif des consommateurs », lorsqu’elle est engagée par une association de consommateurs à l’encontre d’un professionnel ne permet pas aux consommateurs d’être indemnisés individuellement. Elle a donc seulement pour objectif de mettre fin aux agissements illicites ou dommageables d’un professionnel. La seconde, l’ « action en représentation conjointe », ne profite qu’aux consommateurs préalablement identifiés, lesquels donnent pouvoir à l’association de les représenter par l’intermédiaire d’un mandat qui ne peut pas être sollicité préalablement par l’association par voie de publicité, d’affichage, de tract ou de lettre personnalisée. L’action engagée par une association de consommateurs sur ce fondement ne peut donc concerner qu’un nombre limité de plaignants.

L’action de groupe présente donc une vraie innovation dans le droit de la consommation. Créée dans un souci de se prémunir contre les excès des « class actions » américaines, l’action de groupe française s’en différencie par de multiples aspects. Ainsi, et particulièrement, l’action de groupe voit son périmètre d’application limitée à certains types de litiges. Alors que la « class action » ne se limite à aucun domaine en particulier, l’action de groupe est limitée à deux finalités :

– Soit permettre la réparation des préjudices exclusivement patrimoniaux, résultant de dommages matériels, subis individuellement par des consommateurs suite au manquement d’un professionnel à ses obligations légales ou contractuelles. Les dommages moraux et corporels, notamment liés à la santé, ou les dommages à l’environnement sont donc exclus du périmètre de l’action de groupe.

– Soit permettre la réparation des préjudices subis par les consommateurs ayant pour origine une atteinte par une entreprise aux règles du droit de la concurrence français ou communautaire.

Autre différence avec la « class action » américaine, qui peut être introduite par un particulier, un avocat ou une association sans aucun mandat, l’action de groupe ne peut être engagée que par une association nationale de défense des consommateurs agréée. Il en existe 16 à l’heure actuelle. Cette exigence de la loi, qui veut que les victimes utilisent impérativement le filtre de ces associations pour intenter une action de groupe, traduit une certaine défiance à l’égard des avocats, privés de la possibilité de représenter directement des groupes de consommateurs. Il y a derrière cette défiance la crainte de voir reproduire la situation des Etats-Unis où les avocats perçoivent des rémunérations proportionnelles aux indemnités versées aux consommateurs, ce qui est perçu comme un facteur favorisant le déclenchement de « class actions ». Or, les règles déontologiques régissant la profession d’avocat aux Etats-Unis diffèrent des principes français lesquels prohibent les rémunérations d’avocats exclusivement fondées sur le résultat de la procédure.

Les différentes étapes de l’action de groupe

L’action de groupe se déroule en plusieurs étapes régies par les nouveaux articles L423-1 et suivants du code de la consommation. Le juge se prononce d’abord sur l’existence de la responsabilité du professionnel au vu des cas individuels présentés par l’association requérante. Il définit les critères déterminant le groupe de consommateurs victimes du manquement, lorsque celui-ci est établi. Il détermine enfin les préjudices susceptibles d’être réparés ainsi que leur montant.

Le juge ordonne, par la même décision, les mesures adaptées pour informer les consommateurs susceptibles d’appartenir au groupe, mesures qui sont à la charge du professionnel. Les consommateurs disposeront d’un délai compris entre 2 et 6 mois pour « adhérer » au groupe, c’est-à-dire, pour demander à bénéficier de l’indemnisation fixée par le juge. Les consommateurs devront s’adresser soit à l’association soit au professionnel pour être indemnisés.

Contrairement au système américain, le dispositif français favorise une logique dite « d’opt-in » par laquelle les consommateurs qui s’estiment lésés par les pratiques d’un professionnel doivent indiquer à l’association requérante s’ils souhaitent être représentés dans le cadre de l’action engagée et ainsi obtenir réparation. Le système « d’opt out » mis en place aux Etats-Unis implique que la décision rendue par la juridiction s’applique à tous les consommateurs répondant aux critères de la « class » définis par le juge, à moins que ceux-ci ne décident de s’en exclure expressément.

Ces deux mécanismes supposent tout deux que d’importantes mesures de publicité soient mises en place pour informer les consommateurs potentiellement concernés de l’existence de l’action de groupe ou de la « class action ».

Dans le domaine de l’indemnisation des préjudices résultant de pratiques anti-concurrentielles, a été instauré un régime dit de « follow-on ». Le juge ne peut retenir la responsabilité du professionnel dans le cadre d’une action de groupe que sur le fondement d’une décision préalable constatant ses manquements, prononcée par l’Autorité de la concurrence, les juridictions nationales ou les autorités de l’Union européenne compétentes et qui n’est plus susceptible de recours.

Vers un renforcement de la responsabilité des entreprises : l’exemple des dysfonctionnements informatiques

Qualifiée d’ « arme de dissuasion massive » par Benoit Hamon, ministre délégué à la consommation, l’action de groupe fait naitre quelques craintes au sein des entreprises notamment celles de sanctions pécuniaires potentiellement lourdes et de risque d’atteinte à  l’image.

Si les consommateurs renonçaient jusqu’alors, compte tenu du faible montant individuel des litiges, à entamer des actions en justice complexes, longues et couteuses, il n’en sera plus de même avec l’introduction de l’action de groupe permettant d’agir dans le cadre d’un contentieux de masse. Les consommateurs pourront ainsi se regrouper, constituer des dossiers, mutualiser les coûts procéduraux et donner de l’importance au litige par la somme de leur préjudice individuel.

Dans le secteur des technologies, certains incidents informatiques récents peuvent fournir des exemples de terrain sur lesquelles l’action de groupe pourrait prospérer.

La fuite de données personnelles d’un client d’un opérateur de télécom (notamment son nom, prénom et adresse postale) ou une erreur de facturation de quelques centimes d’euros suite à un dysfonctionnement informatique peuvent être considérés comme des problèmes mineurs, au point qu’aucune des personnes concernées n’envisagerait d’engager une action en justice contre l’entreprise responsable. En revanche, le regroupement de 800 000 clients, victimes de la même faille de sécurité, ou du même dysfonctionnement, au sein d’une action de groupe, peut avoir des conséquences financières autrement plus conséquentes pour le professionnel contraint d’indemniser chacune des victimes.

Encore faut-il que les consommateurs désireux d’adhérer au groupe apportent la preuve du lien qui les rattache à l’action. Si la preuve d’un achat n’est pas toujours conservée lorsqu’il est de faible valeur, cette preuve sera en simplifiée lorsque les entreprises disposent de fichiers clients détaillés (comme les opérateurs télécoms par exemple), le juge pouvant alors les astreindre à les communiquer afin de déterminer le groupe de consommateurs lésés. Plus encore, ces entreprises pourront alors faire l’objet d’une procédure simplifiée, si ces consommateurs dont l’identité et le nombre sont connus, ont subi un préjudice d’un même montant : les entreprises pourront être condamnées à indemniser directement et individuellement leurs clients concernés.

Afin d’éviter ces actions de groupe, chaque entreprise a tout intérêt à améliorer les procédures d’identification des dysfonctionnements de leur système d’information susceptibles d’avoir des conséquences dommageables, mêmes minimes, pour leurs clients, et de suivi des réponses qui y sont apportées. L’avènement de ce nouveau risque professionnel devrait également amener les entreprises à revoir leurs polices d’assurance.

Quant aux entreprises mises en cause dans le cadre de pratiques anticoncurrentielles, elles doivent désormais se préparer à répondre successivement du dommage causé à l’économie par le biais du paiement d’une amende, infligée par l’Autorité de la concurrence, du dommage causé aux consommateurs évalué dans le cadre d’une action de groupe et les préjudices subis par les entreprises victimes des pratiques sanctionnées qui peuvent décider d’intenter des actions individuelles en dommages et intérêts.

Certains éléments quant à la mise en œuvre de l’action de groupe restent encore à déterminer, notamment le nombre de consommateurs lésés à partir duquel sera engagée l’action d’une association, le standard de preuve requis pour engager la responsabilité du professionnel, ainsi que le montant des indemnités susceptibles d’être allouées. Des décrets d’application de la loi sont attendus sur ces questions.

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