L’usage des moyens informatiques de l’entreprise par les syndicats

La question des modalités de la communication syndicale dans l’entreprise est aussi ancienne que le droit du travail lui-même. Le code du travail fixe quelques règles simples, applicables aux modes de communication ayant cours depuis toujours dans l’entreprise : la communication syndicale doit pouvoir s’effectuer librement sur des panneaux réservés à cet usage (art. L2142-3) ; des tracts peuvent être librement distribués aux heures d’entrée et de sortie du travail (art. L2142-4). Voici pour le monde du papier. Mais qu’en est-il de la communication par voie électronique ?

Pour combler le vide juridique pré-existant, la loi sur le dialogue social du 5 mai 2004 est venue organiser dans le code du travail le régime juridique de l’utilisation de la messagerie et de l’intranet par les organisations syndicales présentes dans l’entreprise. Plusieurs décisions récentes de la Cour de cassation nous donnent l’occasion de revenir sur les règles qui régissent l’usage de ces outils par les syndicats pour l’exercice de leur activité dans l’entreprise.

Le cadre légal

C’est aujourd’hui l’article L 2142-6 du code du travail qui fixe le cadre. Pour que les syndicats puissent utiliser la messagerie électronique de l’entreprise ou disposer d’un espace dédié sur son intranet, un accord d’entreprise doit être conclu. Cet accord aura pour objet de définir les modalités de cette utilisation ou de ce mode de diffusion, en précisant notamment les conditions d’accès des organisations syndicales et les règles techniques visant à préserver la liberté de choix des salariés d’accepter ou de refuser un message.

Dans un arrêt du 21 septembre 2011, la cour de cassation a précisé qu’une fois cet accord d’entreprise conclu, celui-ci doit bénéficier à tous les syndicats qui ont constitué une section syndicale dans l’entreprise, et pas uniquement aux syndicats représentatifs.

L’article L 2142-6 prend le soin de préciser que l’utilisation du système de messagerie électronique de l’entreprise pour la diffusion des « tracts électroniques » doit être compatible avec les exigences de bon fonctionnement de son réseau informatique et ne doit pas entraver l’accomplissement du travail.

Ainsi, l’accord d’entreprise peut subordonner la diffusion des « tracts électroniques » au respect de certains quotas. La Cour de cassation a reconnu le bien-fondé d’une mise à pied prononcée à l’encontre d’une salariée, déléguée syndicale, qui avait utilisé la messagerie électronique de l’entreprise pour la distribution de tracts syndicaux au-delà du quota (décision de la chambre sociale du 19 mai 2010).

L’accord d’entreprise peut également venir encadrer le contenu des communications électroniques diffusées par les syndicats par les moyens mis à leur disposition. Une décision controversée de la Cour de cassation du 22 janvier 2008 a reconnu la validité d’une clause de l’accord d’entreprise conditionnant la diffusion des « tracts » électroniques à l’existence d’un lien entre le contenu et la situation sociale existant dans l’entreprise. En d’autres termes, des tracts de politique générale ne pouvaient pas être diffusés par la messagerie électronique de l’entreprise.

Ce cadre légal est uniquement destiné à encadrer la communication par les délégués syndicaux. Le comité d’entreprise n’est pas pris en compte par le législateur. Il en résulte qu’aujourd’hui, il n’existe pas un droit pour ses représentants à disposer de la messagerie et de l’intranet de l’entreprise pour leur communication. Cependant, avant la conclusion de l’accord d’entreprise portant sur l’utilisation par les syndicats de ces moyens informatiques, le comité d’entreprise devra être consulté s’agissant de l’introduction d’une nouvelle technologie dans l’entreprise…

La protection des droits des salariés

C’est sur le terrain du droit de la protection des données personnelles que l’on trouve certaines règles complémentaires à respecter pour organiser la communication syndicale électronique dans l’entreprise.

Les salariés doivent être clairement et préalablement informés de cette utilisation afin de pouvoir manifester leur accord ou leur opposition à l’envoi de tout message syndical sur leur messagerie professionnelle.

Le principe est que les salariés doivent pouvoir s’opposer à recevoir des communications syndicales sur leur messagerie électronique professionnelle. L’accord d’entreprise conclu doit donc préciser les modalités selon lesquelles les employés peuvent exercer ce droit. Il est donc également nécessaire que les salariés en soient informés, par tout moyen approprié.

L’accord peut aussi adopter comme modalité de diffusion une règle fondée sur l’inscription a des listes de diffusion : les communications syndicales par mail ne seront possibles que vers les salariés s’étant abonnés à ces listes.

Une messagerie électronique étant un traitement de données à caractère personnel, la Cnil a eu l’occasion de préciser sa doctrine s’agissant de l’e-mailing syndical. Ainsi recommande-t-elle que le droit de s’opposer à recevoir les communications syndicales par mail devrait être systématiquement rappelé dans tout message afin que les salariés puissent, à tout moment, manifester leur volonté de s’opposer à la réception de messages syndicaux. Elle recommande également que l’indication du caractère syndical du message soit systématiquement mentionnée en objet du message électronique adressé.

Le mail peut également être un moyen de liaison entre un salarié et son syndicat. Dans ce contexte, et pour l’exercice même des libertés syndicales dans l’entreprise, toute mesure de sécurité devrait être prise afin d’assurer la confidentialité des messages entre les salariés et les organisations syndicales.

Afin d’éviter toute possibilité d’utilisation détournée, la Cnil recommande enfin que l’employeur ne puisse pas « exercer de contrôle sur les listes de diffusion » constituées. En effet, celles-ci sont susceptibles de révéler l’opinion favorable d’un salarié à l’égard d’une organisation, voire son appartenance à un syndicat déterminé.

La protection des moyens informatiques des salariés protégés

Les délégués syndicaux figurent parmi les salariés dits « protégés ». La Cour de cassation vient de rendre un arrêt important s’agissant de l’usage que font les salariés protégés des moyens de communication électronique mis à leur disposition par l’entreprise. La Haute juridiction considère, dans un arrêt du 4 avril 2012, que pour l’accomplissement de leur mission légale et la préservation de la confidentialité qui s’y attache, les salariés protégés doivent pouvoir disposer sur leur lieu de travail d’un matériel excluant l’interception de leurs communications téléphoniques et l’identification de leurs correspondants. Dans l’espèce en question, l’employeur d’un salarié protégé avait utilisé le relevé de facturation du téléphone mobile de l’entreprise utilisé par l’employé pour identifier les correspondants de ce dernier. La cour y voit à la fois une violation des règles du code du travail relatives au licenciement des salariés protégés et une violation de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

La solution a tout lieu d’être étendue à la messagerie électronique des salariés protégés et aux logs des connexions internet depuis le poste d’un tel salarié.

Quid en l’absence d’accord d’entreprise ?

Il faut souligner que la question de l’utilisation des moyens informatiques de l’entreprise par les syndicats n’est pas un sujet pour lequel une négociation collective annuelle est obligatoire entre employeur et syndicats représentatifs (art. L2241-1 et suivants du code du travail). En l’absence d’accord d’entreprise, la Cour de cassation en a déduit que la diffusion de tracts syndicaux sur la messagerie électronique de l’ensemble des salariés d’une entreprise n’était pas possible sauf autorisation par l’employeur (Cass. Soc. 25 janvier 2005).

Tout envoi de courrier électronique par un délégué syndical n’est cependant pas nécessairement une opération de « tract » soumise au régime de l’article L 2142-6. C’est ce que vient de décider la Cour de cassation dans son arrêt du 10 janvier 2012. Dans cette espèce, un délégué syndical employé d’une banque avait envoyé un e-mail à caractère syndical vers les 35 adresses mails correspondant aux 35 agences de la banque. Seuls les responsables des agences, représentant la direction, avaient accès à ces boîtes mail. Le salarié fut sanctionné par un avertissement puisqu’il n’existait pas dans cette entreprise d’accord autorisant l’usage de la messagerie par les syndicats. L’employeur considérait donc que l’usage en était donc interdit. La Cour d’appel de Rennes confirma la licéité de la sanction. Elle a été déjugée par la Cour de cassation. La Cour de cassation remarque que l’e-mail litigieux n’avait pas eu la diffusion d’un tract, puisqu’il était limité à 35 personnes, lesquelles occupaient des fonctions de direction. Elle considère donc que l’encadrement prévu par l’article L 2142-6 n’avait pas lieu à s’appliquer en l’espèce.

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La pérennité du régime juridique posé par l’article L2142-6 du code du travail est aujourd’hui incertaine. Beaucoup de commentateurs considèrent que cet article n’est pas à l’abri d’une question prioritaire de constitutionnalité. Interdire l’usage de la messagerie électronique aux syndicats de l’entreprise en l’absence d’accord d’entreprise pourrait être vu par le juge constitutionnel comme une atteinte disproportionnée à la liberté syndicale alors que la messagerie électronique est devenue le vecteur privilégié de la communication dans les entreprises.

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