Réseaux sociaux : quels risques? quels encadrements?

L’évolution des technologies de diffusion et de partage de contenus sur internet tend toujours vers une remise en cause des catégories juridiques existantes. Il faut constater que le législateur ne peut soutenir le rythme des évolutions techniques et que les tribunaux procèdent par tâtonnement avant qu’une jurisprudence ne se dessine, permettant aux acteurs économiques de régler leur comportement. Il en résulte toujours des périodes d’incertitude juridique.

Ces dernières années, ce sont les « réseaux sociaux » qui ont fait leur entrée sur la scène de l’internet. Il fallait bien que le droit, les justiciables et les juges finissent par s’en emparer.

Les réseaux sociaux, plus que toutes les autres technologies qui les ont précédés, cassent les repères juridiques existants. De l’émergence du World Wide Web à celle des réseaux sociaux, le sens de l’histoire va toujours vers une confusion de plus en plus grande des rôles et des responsabilités.

Ramené à sa dimension technique la plus stricte, un réseau social, Facebook par exemple et par référence, n’est rien d’autre qu’une technique de communication permettant à un émetteur de diffuser un contenu, écrit ou audiovisuel, vers des destinataires.

Pourquoi Facebook rebat-il les cartes de manière aussi fondamentale ? Parcourons rapidement l’histoire juridique de l’internet.

Temps 1 : Le responsable technique et économique de la publication en ligne d’un contenu est son responsable « intellectuel »

Dans les temps anciens du WWW, le responsable technique et économique de la publication en ligne d’un contenu était aussi son responsable « intellectuel ». L’éditeur d’un site web, même un particulier, était celui qui disposait des compétences html nécessaires pour éditer le contenu, qui supportait les coûts de sa production (développement du site, coût d’hébergement, temps consacré) et qui, en définitive, supportait la responsabilité éditoriale de ce contenu. Si celui-ci était attentatoire aux droits des tiers, l’éditeur devait en répondre. L’hébergeur est ici son sous-traitant, sa responsabilité sur le contenu ne peut être que marginale. Le WWW était finalement un média audiovisuel « comme un autre ».

C’est ce monde là que la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) a régulé. Cette loi est basée sur une dichotomie claire entre l’éditeur du site et l’hébergeur du site. A l’instar du monde physique, la responsabilité de l’hébergeur sur les contenus hébergés ne peut être mise en œuvre que dans des cas exceptionnels, comme celle de l’imprimeur d’un journal.

L’article 6. I. 2 de la LCEN prévoit un principe d’exonération de responsabilité pour les prestataires d’hébergement qui « ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si [ils] n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où [ils] en ont eu cette connaissance, [ils] ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible ».

Temps 2 : Le responsable technique et économique de la mise en ligne du contenu n’est plus le responsable intellectuel.

Le web 2.0 est arrivé. Si tant est qu’on puisse le définir, on peut convenir que le web 2.0 caractérise la mise à la disposition du plus grand nombre, par des entreprises, de moyens techniques destinés à mettre en ligne des contenus. Avec le web 2.0, la distinction entre éditeur et hébergeur de contenus est devenue plus difficile à opérer.

Après de nombreux débats et de nombreuses décisions, la jurisprudence est aujourd’hui fixée : les promoteurs de plateformes de mise en ligne de contenus (plateformes de blogs, plateformes de partages vidéo type Youtube ou Dailymotion) sont reconnus hébergeurs et donc, par principe, non responsables des contenus qu’ils hébergent.

Pourtant, en fédérant des contenus qu’ils ne produisent pas, ces acteurs réalisent une activité économique et en tirent des revenus, d’ailleurs supérieurs aux revenus qu’en tirent les responsables des contenus. L’internaute qui charge sur Youtube une video ne reçoit rien en contrepartie. Pour autant, ces plateformes ne supportent pas, ou très peu, la responsabilité des contenus diffusés. Le sens de l’histoire juridique aurait pu être différent.

Le responsable technique et économique de la mise en ligne du contenu n’est donc plus son responsable « intellectuel ».

Temps 3 : Le responsable « intellectuel » du contenu n’est plus le responsable de sa diffusion publique.

Nouveau temps dans l’histoire juridique de l’internet, nouveau flou dans les concepts juridiques à manier : l’arrivée des réseaux sociaux.

Les premières décisions judiciaires ayant pour environnement factuel des réseaux sociaux, et principalement Facebook, commencent à arriver. Elles ont principalement pour cadre les relations de travail. Elles illustrent un nouveau phénomène dans la diffusion d’un contenu publié en ligne et dans la responsabilité potentielle que porte ce contenu : la « victime » du contenu en est informée par un tiers et n’y a plus directement accès. Ainsi, tel salarié rapportera à son employeur tel propos tenu par tel autre salarié sur sa page Facebook.

C’est ce type de comportement qui a donné lieu à la décision très médiatisée du Conseil des Prud’hommes de Boulogne Billancourt du 25 novembre 2010. Le Conseil des Prud’hommes a estimé fondé le licenciement pour faute grave d’une salariée qui avait cautionné des propos dénigrants vis-à-vis de son supérieur hiérarchique, propos tenus sur le « mur » du compte Facebook d’un de ses amis salariés de la même société. Des amis du « titulaire » du mur ont rapporté les propos à l’employeur. Ainsi, l’employeur a été mis au courant du contenu litigieux sans y avoir un accès direct.

Récemment, des propos dénigrants vis-à-vis d’un employeur, tenus sur Facebook, étaient au cœur du litige soumis à la Cour d’appel de Douai dans son arrêt du 16 décembre 2011. En première instance, les juges avaient validé la rupture d’un CDD par un employeur à raison des propos dénigrants tenus à son encontre sur Facebook par un salarié. Cette décision a été réformée en appel. La Cour ne s’est pas attachée aux éventuelles conséquences juridiques desdits propos. Elle a seulement constaté que la rupture d’un CDD n’était possible que sur faute grave, et qu’une telle faute n’avait pas été invoquée par l’employeur.

On voit que, comme l’e-mail l’a été en son temps, Facebook va devenir une source nouvelle de conflits entre employeurs et salariés.

En parallèle de ce phénomène, on constate que Facebook devient pour les entreprises un nouvel espace sur lequel elles entendent être présentes – par l’intermédiaire de pages institutionnelles – ou sur lequel leurs produits et services, leur organisation, voire la qualité des relations professionnelles au sein de l’entreprise sont discutées. C’est un nouvel espace de communication à surveiller et à apprivoiser.

Brossons la liste des problématiques juridiques que soulève ce nouvel espace.

Réseaux sociaux : quelles responsabilités pour quels responsables ?

Un réseau social est un média. C’est le support et le vecteur d’un contenu, qu’il soit écrit ou audiovisuel. Comme tout contenu, celui-ci peut porter atteinte aux droits d’un tiers. Ces atteintes sont variées : atteinte à l’image d’une personne, atteinte à la vie privée, atteinte aux droits de propriété intellectuelle, atteinte à la réputation, etc.

Le droit sanctionne – pour ainsi dire depuis toujours –  ce type d’atteintes. En général, la question est de savoir qui en est le responsable ? Qui va rendre compte et, le cas échéant, indemniser la victime de cette atteinte ?

L’opérateur du réseau social n’est a priori pas responsable des contenus « supportés » par son réseau. Il y a certainement lieu de lui appliquer la jurisprudence qui s’est dégagée pour les plateformes de mise en ligne de vidéo telles que Youtube ou Dailymotion et de le qualifier d’hébergeur. Il ne porte pas la responsabilité intellectuelle des contenus qu’il héberge, sauf exceptions prévues par l’article 6. I. 2 de la LCEN.

Encore faut-il être circonspect. Il peut y avoir des situations où l’opérateur de la plateforme se verra refuser la « protection » du statut d’hébergeur. Google a été condamné à plusieurs reprises pour son service Adwords. Ainsi, encore récemment, dans une décision du 14 novembre 2011, le tribunal de grande instance de Paris a considéré que « compte tenu de la connaissance ave?re?e par le responsable du service AdWords, du contenu des messages et mots cle?s, comme de la mai?trise e?ditoriale qui lui est contractuellement re?serve?e », il convenait « d’exclure a? son e?gard la qualification d’he?bergeur et le be?ne?fice de de?rogations de responsabilite? qui lui est re?serve? ».

De même pour eBay, dans un arrêt du 12 juillet 2011, la Cour de Justice de l’Union Européenne a dressé les conditions dans lesquelles une telle place de marché pourrait voir sa responsabilité engagée pour les offres de produits contrefaisants présentes sur son site. Ce sera le cas lorsque la plateforme cesse d’être techniquement neutre et joue « un rôle actif de nature à lui conférer une connaissance ou un contrôle des données relatives de ces données ».

Facebook, comme Google, a pour modèle économique de commercialiser des services de publicité basés sur une analyse des contenus stockés. Lorsque le rôle de l’opérateur de la plateforme dépasse un rôle purement technique, automatique et passif, impliquant qu’il a la connaissance et le contrôle des informations transmises ou stockées, il ne bénéficie plus de la protection du statut d’hébergeur. Tel Google pour les Adwords.

Il n’est pas à exclure que Facebook puisse avoir à répondre dans le futur des contenus qu’il stocke, au regard de l’exploitation qu’il en fait.

La communication est-elle publique ou privée ?

La dimension nouvelle qu’apportent les réseaux sociaux par rapport aux autres sites internet, c’est le contrôle que peut exercer la personne publiant un contenu sur l’identité et le nombre des personnes qui pourront en prendre connaissance, c’est-à-dire son réseau.

Avec cette capacité, nait une granularité importante dans les situations pouvant se présenter, jusqu’alors inconnue dans les autres média. Schématiquement, avant les réseaux sociaux, un message était soit privé, soit public. Sur les réseaux sociaux, les choses sont factuellement et sociologiquement plus complexes.

Une personne va publier des informations sur son profil Facebook ; au cours de la journée, elle va régulièrement alimenter en photo, écrits, etc. son « mur ». Première situation : elle peut décider que n’importe qui aura accès à ces informations. Nous sommes ici dans le cas le plus extrême, où la communication que va faire cette personne sur Facebook est publique. Deuxième situation : elle peut décider de restreindre l’accès à ces informations à tout ou partie de ses « amis ». La communication est-elle publique ou privée ? Les amis sont les personnes que l’on connaît intimement. Avec lesquels on s’autorise une liberté de ton. Qui ne vous demandent pas des comptes sur les propos que vous tenez. Qu’en est-il lorsqu’une personne possède de nombreux « amis » ? Des centaines, voire plus. Il y a forcément un stade où l’on passe d’une diffusion privée à une diffusion publique de l’information. A quel moment ce stade est-il franchi ?

Autre situation : une personne publie une information sur le « mur » d’un de ses amis. A-t-elle conscience que tous les amis de cet ami, des personnes qu’elle ne connaît pas, pourront lire cette information ? Ce faisant, fait-elle un acte de communication publique ?

Ces questions sont d’importance car bon nombre des atteintes aux droits des tiers que nous avions identifiées ci-dessus présupposent d’être commises de façon publique pour être constituées.

C’est dans le contexte des relations de travail que cette question a été portée pour la première fois sur le terrain judiciaire. Nous avons rappelé en introduction la décision du Conseil des Prud’hommes de Boulogne Billancourt.

Le Code du travail donne la possibilité au salarié d’exprimer librement ses opinions en ce qui concerne « le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation de leur travail » (art. 2281-1). Cette liberté d’expression fait toutefois l’objet d’une protection particulière, s’agissant de ses correspondances privées. En effet, la jurisprudence a considéré que les messages libellés « personnels » adressés par un salarié depuis sa messagerie professionnelle ne peuvent être interceptés ou exploités par l’employeur sans l’autorisation du salarié.

Or, la décision du Conseil des Prud’hommes nous enseigne que cette protection n’est pas automatiquement garantie pour des propos tenus sur les réseaux sociaux. Et cela, même s’ils ont été tenus à l’extérieur de l’entreprise – à domicile – et en dehors du temps de travail – un samedi soir.

L’interpénétration de la sphère privée et de la sphère professionnelle est illustrée par ce cas d’espèce, de même que la disparition de la frontière entre propos publics et privés et la dilution entre l’écrit et l’oral.

Les juges vont devoir fixer des nouvelles règles de comportement. Il n’est pas sûr qu’ils trouvent dans la jurisprudence passée des précédents sur lesquelles fonder leur réflexion. Les règles de communication dans le monde Facebook sont à inventer.

Quels risques pour les entreprises ?

L’internet est un monde d’identifiants. Le plus connu d’entre eux, le nom de domaine, a généré un contentieux important pour les titulaires de marques et autres signes distinctifs, contentieux qui ne s’est jamais tari. Ce contentieux touche relativement peu les personnes physiques, qui voient rarement leur patronyme utilisé comme nom de domaine, sauf cas de célébrités. Le système de règlement des conflits liés aux noms de domaine, institué par l’ICANN, permet aujourd’hui un traitement simple et rapide de ces contentieux.

Les réseaux sociaux peuvent présenter un nouveau terrain au développement de ces contentieux.

Tout comme il était important d’être présent sur le web, avec un nom de domaine, il est aujourd’hui important pour une entreprise d’être présente sur un réseau social comme Facebook ou de pouvoir être « suivie » sur Twitter. Il s’agit donc, ici encore, de pouvoir y être identifié par sa marque ou sa raison sociale. Comme avec les noms de domaine, deux cas de figure vont se présenter : soit l’entreprise sera victime d’un « squatting » : un tiers aura créé un profil utilisant sa marque, sans légitimité. Il pourra s’agir là d’une contrefaçon pure et simple. Soit l’entreprise souhaitera utiliser un identifiant déjà utilisé par une autre entreprise qui présente une légitimité aussi forte à l’utiliser. La règle du premier arrivé, premier servi s’applique déjà sur Twitter et Facebook.

On remarquera que ces réseaux sociaux ont déjà créé leurs règles quant à la création des usernames. L’ICANN a pu être contesté parce qu’il s’agit d’une personne morale de droit américain qui a la haute main sur le système des noms de domaine. Elle a depuis fait la preuve de son efficacité. Elle est ouverte à la participation de tous les acteurs de l’internet, dans tous les pays. Sur Facebook, les règles de création des usernames sont les règles définies par Facebook…seule.

La réputation d’une entreprise, son image de marque, peuvent être mises à mal par les remarques que font ses « fans » sur la page qu’elle va ouvrir sur tel ou tel réseau social. Lorsqu’elle administre ces pages, il lui sera techniquement possible de retirer les contenus qu’elle estime lui être préjudiciable. Le « community manager » devra néanmoins agir avec discernement car les internautes peuvent être prompts à surenchérir lorsqu’ils détectent ce type de suppressions qu’ils estimeraient abusives.

Lorsque l’atteinte provient d’une publication sur une page que l’entreprise ne maîtrise pas, ou par exemple dans un « tweet », l’entreprise dispose théoriquement du droit de réponse prévu par le décret du 24 octobre 2007. Ce droit de réponse doit être exercé dans les trois mois de la publication du message. L’exercice du droit de réponse n’est cependant ouvert que s’il est impossible de rédiger un commentaire directement à côté du message incriminé. Sur les réseaux sociaux, par nature ouverts au dialogue, il sera donc le plus souvent possible de répondre directement sans avoir à exercer formellement ce droit de réponse.

Une règle doit cependant être rappelée : la liberté d’expression est protégée. Là où les titulaires de marques voient des dénigrements préjudiciables, les juges considèrent souvent qu’il s’agit du libre exercice de la liberté d’expression. Sur un réseau social, le particulier aura souvent la liberté d’invectiver une marque ou une entreprise sans que l’on puisse lui demander des comptes.

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